Survivre au suicide

RODIN 2012-050
Rodin, Grands Ballets canadiens, 2011

Mon grand frère, m’a fortement recommandé d’aller voir le film Saving Mr. Banks, un film qui fut mis en marché en 2013 par le Studio Disney comme un Making Of de Mary Poppins (1964) de Walt Disney lui-même.

Voir Tom Hanks interpréter Walt Disney fut pour moi un voyage dans le temps, un véritable déjà-vu nostalgique. Que de soirées du dimanche que nous avons vécus en famille à regarder The Wonderful World  of Walt Disney, The Ed Sullivan show et pour finir Bonanza. Mon père, un homme pratique, avait installé la télévision sur une tablette près du plafond, loin de toutes nos petites mains. Assis en Indiens par terre, entassés sur le canapé carreauté vert et noir ou encore dans les berceuses de bois de grand-maman que notre mère avait recouverte de cuirette verte nous regardions religieusement, dans notre ciel télévisuel, les images animées de Topo Gigio, de Little Joe, de Tinker Bell et même, parfois, de notre personnage préféré, Walt Disney lui-même.

Plus que les bandes annonces, plus que la recommandation de mon frère, ce sont les images de l’interprétation de Tom Hanks que l’on voyait tout dernièrement à la télévision qui m’ont convaincu de me payer une place dans la première rangée du cinéma, comme si j’avais encore huit ans. À l’époque, maman, plus souvent que jamais, refusait de nous payer des billets de cinéma, car nous étions huit. Le seul argument que nous pouvions invoquer avec succès était « Mais c’est un Walt Disney Maman! » Elle décidait alors de se payer une après-midi de repos en envoyant toute sa tralée, les petits sous la garde des grands, à la matinée du cinéma Odéon.

J’ai bien apprécié ce nouveau film si ce n’est que pour tous les souvenirs qu’il m’a rappelés à la mémoire. Mais ce n’est qu’à la toute fin de la présentation que j’ai compris pourquoi mon ainé me l’avait si fortement recommandée. Le film original, Mary Poppins, est l’histoire de la famille de Mary Travers (Emma Thompson) dont le père était un grand rêveur et un alcoolique invétéré. Elle a donc vécu une enfance difficile, ponctuée des jeux fantaisistes que son père organisait et qui étaient tous, immanquablement, suivis d’une descente aux enfers en règle. Selon les scènes de retour arrière du film, ce serait la petite Mary Travers qui aurait donné à son père son dernier flacon de poison. Dans le film de cette année, le défi de Hanks-Disney est de convaincre Thompson-Travers de lui céder ses droits pour qu’il puisse tourner un film au sujet de Mary Poppins. À la fin du film, Disney découvre le secret de Mary Travers et c’est ainsi qu’il réussit à la convaincre de poursuivre son envolée originale qui avait comme leitmotive de réhabiliter son père en créant un monde imaginaire dans lequel elle pourrait sauver papa Banks. Un exercice de sublimation cinématographique, car en effaçant les tares de papa pour mieux mettre en valeur ses qualités elle le réhabilitait dans son imaginaire et sur la place publique.

Il est particulièrement difficile pour un père d’accepter le suicide de son fils, cela est d’autant plus pénible quand il vient tout juste de publier un roman qui est essentiellement un exutoire pour oublier le suicide de son meilleur ami. En survivant au suicide d’un proche, on est nécessairement déchiré entre nos sentiments, entre la révolte et la pitié, entre le rejet et l’acceptation, entre l’antipathie et l’empathie, entre la haine et l’amour… et puis on est submergé dans culpabilité de ressentir en rafales tous ses sentiments.

Le métro est un endroit idéal pour réfléchir, car on doit nécessairement se replier sur soi-même de peur de vivre en public ce qui nous préoccupe. En rentrant à la maison, quelque part entre Atwater et Honoré-Beaugrand, j’ai compris ce que mon frère cherchait à me dire. J’ai compris que je devais tenter de redécouvrir à travers des œuvres d’André qui mon fils était. Que je devais revisiter ses œuvres qui témoignent de sa présence sur terre, de la passion qu’il a vécue, même si parfois ses sentiments étaient pénibles comme ceux que je ressens aujourd’hui et parfois sublimes comme cette photo qui me rappelle que la création passe par la sublimation.

Publié par

Gaston Tremblay

Poète, romancier, essayiste, éditeur Gaston Tremblay a aussi été administrateur d’organismes artistiques.

4 réflexions sur “Survivre au suicide”

  1. Bonjour,

    Je suis désolée pour votre perte. Votre écrit est très inspirant. Une amie et moi, endeuillées suite au suicide d’un proche, souhaitons mettre en place un recueil de textes afin de partager les expériences que nous avons connues et de partager celle d’autres personnes également. Voici donc le projet tel qu’on le présente :

    Je me présente, Marie Christine St Jean, Travailleuse sociale, entrepreneure et voyageuse. Mon cheminement vers la lumière, l’Amour, le positivisme et le sourire fut déclenché par une grande période de noirceur qui suivit le suicide de mon père, René. Pendant des années, je fus envahît par de la colère, de l’incompréhension, me sentant tellement perdue. Puis un jour, je compris ce geste d’amour, d’amour de soi, qui le libéra de sa souffrance. Je sais maintenant que mon ange est avec moi, dans mes étapes, mes aventures et mes épreuves de la vie. C’est alors que la noirceur en moi ce transformera en lumière, la peur en amour et en espoir. Je compris que chacun à son propre chemin qui le fait grandir, évoluer, apprendre et ai accepté ma voie. Cette voie qui fait que je savoure maintenant la vie et le moment présent.

    Puis j’ai rencontré Dominique, une femme extraordinaire, dont la fille est morte par suicide. Même si elle a vécu son deuil d’une manière différente de la mienne, nous partageons ce même désir de partage, de lumière et d’espoir, qui nous fait avancer dans le chemin de la vie.

    Merci de partager ce projet,un livre, un de recueil de textes. Notre but, apporter l’aide, l’Amour, l’espoir et la paix dans nos coeurs, dans vos coeurs.

    Mon souhait de coeur :
    – À tous ceux qui ont perdu un membre proche de leur famille, mort par suicide
    – À tous ceux qui ont eu un passage de vie les amenant à passer à l’acte ou a y penser fortement

    Je souhaite avec votre aide partager vos mots et les miens, toucher tout les cœurs, toutes les âmes, qui ont besoin d’entendre, de lire, de vivre ce que vous avez vécu. Il est possible de le faire de manière anonyme, si vous le souhaitez.

    Plus de gens liront ce message, plus de gens seront toucher et guidés à communiquer avec moi.

    Merci
    mcstjean@hotmail.com

    P.S. Je suis présentement en voyage à travers l’Asie du Sud-est et me connecterait régulièrement afin de faire suite à vos messages le plus rapidement possible

    Merci,
    Marie Christine St Jean

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