Topo-Gigio, la réalité et une peinture de Goya

Ce soir, jour de la Saint-Valentin, j’ai délaissé les ondes de l’American-Live-TV pour regarder Crazy-Heart, un film de musique western.
Pour moi les États étaient les pays de Walt Disney, de la cabane du Shaggy Dog, de la maison de billes de Daniel Boone, de Rintintin et de Lassie. C’était aussi la section de journal des bandes dessinées de Mickey Mouse, de Donald etTopo ses trois petits neveux, des programmes de Lucille Ball, d’Ed Sullivan et de son ami Topo Gigio.
C’était le pays des oranges à l’époque où les oranges étaient rares en hiver. C’était un pays magique, celui d’Elvis Presley qui chantait Crying in the Chapel en noir et blanc.

« America the beautiful.
The land of the free and the brave »

Et le paradis n’est plus, c’est le déclin de l’empire américain dans le grand colisée américain, les nouvelles de six heures, en direct et ensanglantées. La place publique  dans ce qui est maintenant le pays des adultes qui tuent leurs propres enfants pour vendre quelques fusils de plus, dans celui des politiciens qui se font graisser la patte par la NRA afin de se payer des publicités publicitaires aussi violentes que fausses. In order to win no matter the price.
Une maman qui s’en allait prendre ses enfants à l’école s’est arrêtée pour parler à une journaliste, elle n’arrivait pas à dire quoi que ce soit de cohérent, la situation étant pour elle tout à fait surréelle. Meanwhile back at the television ranch, Phillip Mud, un ancien agent FBI, éclate en sanglot, est incapable de continuer à commenter les nouvelles! « I cannot do this anymore », s’écrie-t-il en faisant allusion à toutes les tueries depuis quelques années.
CNN tente d’élucider le pourquoi, la raison profonde de toutes ces attaques en parlant à des psys, à des prêtres, à des témoins, à des victimes. Ils ne veulent pas comprendre que ce ne sont pas les individus qui sont malades, que c’est plutôt le pays tout entier. Rappeler vous lu film Apocalypse Now, c’est la meute sanguinaire qui était terrifiante.
J’ai gardé des souvenirs forts de mon premier voyage en Espagne. Le plus frappant pour moi fut les deux salles dédiées aux œuvres de Francisco Goya dans le musée Musée  Prado. Le tableau de Vénus qui mangent un de ses fils m’a littéralement renversé, et même 30 ans plus tard, il m’apparait comme la parfaite métonymie de l’Amérique de Donald Trump.

150px-Francisco_de_Goya,_Saturno_devorando_a_su_hijo_(1819-1823)

Gaston en enfer

Man in the Machine

Je me targue d’astevevoir lu tout l’œuvre de Jean Éthier-Blais, qui fréquentait mes parents quand ils étaient adolescents dans le village de Sturgeon Falls, en Ontario. C’est une œuvre magistrale, dont un passage reste gravé dans ma mémoire.
« J’aime regarder par la fenêtre. » […] Est-ce, dans une fenêtre, le paysage qui m’attire ou bien la vitre ? Est-ce par-delà le verre, mon image qui, soudain, lorsque je bouge, m’apparaît ? […] Et lorsque je j’écris que « J’aime regarder par la fenêtre », ne veux-je pas dire que c’est en moi que j’aime plonger les yeux du rêveur ? »

J’ai vu, sur Netflix, un film documentaire intitulé, Steve Jobs : The Man in the Machine. Deux longues heures : « longues », car il y a des passages difficiles même pour une personne qui n’aime pas cet homme et encore moins ses machines. Soyons clairs ! Nous ne pouvons pas faire l’oraison funèbre de Jobs sans reconnaître les immenses talents, la créativité exubérante, de ce visionnaire et sans admirer la beauté, l’ampleur et l’importance de son œuvre.
Qu’il fût un homme difficile à vivre est un secret de polichinelle. Le mauvais traitement qu’il a réservé à sa première compagne lorsqu’il a appris qu’elle était enceinte, celui qu’il a imposé à sa fille Lisa qu’il ne voulait pas reconnaître, le refus de reconnaître à leur juste valeur les contributions des cofondateurs de Apple en témoignent. Ce document passe rapidement sur ses agissements bien connus afin de mieux soulignés l’ampleur de ses comportements organisationnels aberrants : son refus catégorique qu’Apple fasse des contributions philanthropiques, sa participation à des conditions de travail qui s’apparentent à l’esclavage en Chine, son refus de reconnaître la responsabilité de Apple pendant et après une vague de suicides dans les manufactures de ses sous-traitants chinois, le détournement systématique des profits de Apple vers deux petites entreprises bidon irlandaises qui n’ont presque pas d’employés, une poursuite enragée contre un journaliste qui a trouvé un prototype d’un nouveau téléphone Apple dans un bar, des contrats de travail manichéens qui interdisaient à ses employés de chercher et d’accepter du travail ailleurs, la collusion qu’il a dirigée dans Silicon Valley pour mieux contrôler ses employés. Et à la fin du film, le cinéaste suggère que plus son cancer avançait, plus il s’acharnait contre ceux qui s’opposaient à lui.
Le rideau tombe sur ce film lorsqu’une scène nous fait voir le visage émacié de Jobs réfléchi sur un écran d’IPAD. Une image qui se transforme pour nous laisser apercevoir celui du narrateur qui dit premièrement « Qu’est-ce que cette machine nous dit au sujet de l’homme qui est dedans » pour ensuite nous donner le coup de grâce de son film « Qu’est-ce que ses machines nous disent au sujet des consommateurs qui les achètent ».
Le coup est bien porté, car la mission que le cinéaste s’est donnée est d’expliquer la vague d’amour qui a déferlé sur le monde à l’annonce de la mort de Steve Jobs, car le succès de Jobs est dû à la popularité de ses produits malgré les comportements de leur créateur.
L’œuvre de Jobs est magistrale, mais le prix à payer pour tous ses produits jetables est très élevé, pour ceux qui l’ont connu et pour ceux qui l’ont appuyé.