Le Grand Livre, volume 3, chapitre 1
Fight, Flight… Freeze
Le vent du Nord soufflait autour de lui, une bourrasque aussi soudaine que violente souleva son foulard. Hors de contrôle, son cache-nez battait dans l’air, Albert n’arrivait pas à le replacer à son avantage. Pendant une accalmie, le survêtement s’enroula autour de sa tête, lui protégeant les oreilles, mais lui bandant les yeux. Du bout de ses doigts, Albert serra l’écharpe autour de son cou pour empêcher la tempête de se glisser sous son manteau, entre sa chair et les bourrelets de laine isolante de sa canadienne. Mais, surtout, il voulait libérer sa vue, car il était curieux de voir ce qu’il y avait dans l’ancienne grange abandonnée derrière leur nouvelle demeure. Les portes de service, suffisamment grande pour laisser passer un tracteur battait au vent, tout l’édifice craquait. Il était maintenant un entrepôt de bric-à-brac obsolètes : des outils de défricheur, des instruments aratoires d’une autre époque, des anciens meubles défraichis… En fait, ce hangar abritait tous les gréements d’une famille qui avaient courageusement, de génération en génération, exploité cette petite terre à quelques kilomètres du village de Sturgeon Falls. Dans un rang tranquille où presque personne ne s’aventurait sauf peut-être les hippies qui voulait faire un retour à la terre. Ce n’était pas le cas d’Albert, il cherchait la paix de l’hiver, mais sa démarche était la même.
Cette grange de bois gris, ses portes rabattues négligemment sur ses flancs, lui rappelait le cabinet de luxe du téléviseur de ses grands-parents qui lui permettaient de regarder avec eux Les belles histoires des pays d’en haut qui était entre autres un documentaire sur les exploitations fermières d’antan. En fait, sa curiosité était pour lui beaucoup plus un regard nostalgique sur l’intérieur de l’atelier de son grand-père paternel, c’était une recherche aux fonds de son âme. Albert entra, timidement… un autre coup de vent s’éleva, contourna et embrassa l’édifice : les portes se refermèrent derrière Albert. Il sursauta. Ses yeux clignèrent, désorienté son corps battait l’air, ses pieds cherchaient la terre ferme, il tomba à la renverse. Le vent hurlait, les portes claquaient à qui mieux mieux. Étourdit, sa tête frappa le revers d’un socle, le toit de métal ondulé grinçait, le plafond tournait au-dessus de son corps, la lumière entrait dans la pièce à travers des murs ajourés. La tempête tomba subitement, le vent s’assoupit, Albert aussi, il sombra dans un rêve agité.

André Tremblay