Les petits souliers

Illustration : Rita Tremblay

Hier, j’ai visité la Place-Vertu, un beau petit centre commercial dans Saint-Laurent, mon nouveau quartier. Décoration, musique de Noël, une foule en liesse… aussi, il y avait plein de gens de tous les pays, sinon de tous les continents. Les enfants tournoyaient autour de leurs aînés, les grands-parents montaient la garde, les parents jouaient les farfadets : qui vérifiaient leur liste trop longue, qui négociait, qui choisissait celui-ci plutôt que celui-là pour plaire à celles-là… pour combler ceux-là.

En bref, tout un chacun s’affairait à se découper tant bien que mal une généreuse part du rêve américain, sinon de la très riche réalité canadienne. Riche, oui ! mais trop chère. Depuis la pandémie, nous devons vérifier les prix de toutes les denrées dans le panier d’épicerie. Nous ne pouvons plus les lancer automatiquement dans notre panier comme nous le faisions autrefois de peur d’avoir à retrancher les produits onéreux devant tout le monde… à la toute dernière sur le tapis roulant de l’humiliation à l’intransigeante caisse.

Faire les courses pour l’essentiel est devenu une lourde tâche. Cela était d’autant plus vrai que plusieurs vitrines sont désormais barricadées, et que les tablettes des autres magasins sont pour toute fin pratique dénudées.

Mais la musique comme toujours est au rendez-vous, l’ultime remède à tous nos maux, même à toutes nos tristesses. À Noël une chanson est plus appréciée plus que toutes les autres, car elle fait revivre pour nous une époque où nous pouvions comme parents jouer facilement jouer les Saint-Nicolas pour les grands, pour les vieux et surtout pour les tout-petits. Et puis il y a ces fameux refrains de ces merveilleux cantiques qui nous rappellent à la conscience les rêves de notre enfance.

Petit Papa Noël
Quand tu descendras du ciel
Avec des jouets par milliers
N’oublie pas mon petit soulier

Pour mes sœurs et mon frère, cette chanson nous rappelle les activités de la Ligue de la Jeunesse féminine dont ma mère a été la présidente pour une ou deux mandats dans les années soixante. Le Bal des Petits Souliers était définitivement l’évènement social le plus important du printemps dans notre petit village. Plus près de nous, il y avait la soirée des ados Chanteurs de Noël que maman organisait chaque année. Nous passions de maison en maison pour chanter un cantique et surtout pour solliciter des contributions pour le fonds des petits souliers, un fond de la ligue dont le but était d’acheter des souliers pour les pauvres.

Une année, un grand magasin a livré chez nous une immense boîte pleine de petits cadeaux qui devaient tous être réparés avant Noël. Notre maison s’est rapidement transformée en atelier de père Noël, les amies de maman en lutines. Nous étions émerveillés, enchantés et tout à coup conscients de la vie privilégiée que nous vivions.

Cette boîte de cadeaux, cette corvée populaire et le dernier vers de cette chanson m’ont mis la puce à l’oreille. « N’oublie pas mon petit soulier ». Qu’est-ce à dire ? Il a fallu que je visionne à l’internet un clip musical préparé pour une classe d’immersion anglaise pour comprendre que, le petit soulier, c’était l’ancienne version française originale (Tino Rossi 1946) du bas de Noël que la légende a popularisé en Amérique. Cette découverte m’a permis de réconcilier le Bal des petits souliers et la grosse boîte de cadeaux que nous avons distribués dans notre paroisse.

C’est aussi le contexte dans lequel j’ai écrit le texte pour cette carte de Noël que nous avons envoyée à nos amis en 1972, il y déjà cinquante ans !

Le 10 décembre, 1972
66, rue Bloor, Sudbury, Ontario

Redonnons Noël aux enfants !
Quand les premières neiges viennent recouvrir les feuilles de mon jardin je me rappelle l’attente. Au tournant de mes six ans je comptais… quatre dodos… trois dodos… deux dodos et enfin un seul dodo : NOËL ! Au fond de nous se cache un enfant qui rêve, qui compte et qui attend. Mon enfant, sa mère, et moi-même, nous vous invitons à réveiller cet enfant en cous, et compter avec nous les dodos pour que la joie de votre Noël soit ainsi multipliée par le nombre de dodos que nous aurons compté ensemble.

Sincèrement,

La famille GAT.