Le prix du Nouvel-Ontario 2024

GRAND SUDBURY – le 7 mai, 2024. La Nuit sur l’étang a attribué le Prix du Nouvel-Ontario à Denis St-Jules en reconnaissance de plus de 50 ans d’engagement à la cause franco-ontarienne.

Photo Léo Duquette

La remise du Prix du Nouvel-Ontario s’est effectuée lors d’une célébration de vie de cette icône de la radio franco-ontarienne à la Place des Arts du Grand Sudbury le samedi 4 mai, 2024. Plus de 200 personnes se sont réunies pour des poèmes (de Denis), des chansons, des souvenirs, des anecdotes, des rires et des pleurs. Monsieur St-Jules fut victime d’un cancer foudroyant qui l’a emporté en février.   

C’est l’épouse de monsieur St-Jules, madame Carmen Vincent, et leurs enfants Manon et Marc-André qui ont accepté le prix de mérite. Madame Vincent a dit que « Denis aurait été honoré, mais humble dans l’acceptation de cet honneur. »

Le Prix du Nouvel Ontario a été créé en 1983 afin de reconnaitre l’ensemble de l’œuvre d’une personne en arts, culture et vie communautaire. Monsieur St-Jules s’est fait connaitre comme animateur du matin à CBON de Radio-Canada pendant près de 30 ans. Pendant ce temps, les Franco-ontariennes et les Franco-ontariens se réveillaient à la voix rassurante de l’un des leurs.

Mais sa contribution à la communauté franco-ontarienne ne s’est pas limitée à la radio. Il fut co-fondateur de la maison d’édition Prise de parole et cosigna le premier recueil de poésie Lignes-Signes publié par la maison en 1973. Monsieur St-Jules a longtemps contribué aux Éditions Prise de parole comme membre du Conseil d’administration et du comité d’édition. Il a appuyé deux directions générales, dont celle de Gaston Tremblay, de 1978 à 1988, et celle de Denise Truax de 1988 à ce jour.

Monsieur St-Jules était aux premières loges de la fondation du Théâtre du Nouvel Ontario et de La Nuit sur l’étang. Il est monté sur l’estrade de La Nuit comme poète et plus tard comme animateur. Il effectuait régulièrement des pèlerinages à Sudbury pour appuyer des projets du Salon du livre du Grand Sudbury, des Éditions Prise de parole, des Concerts la Nuit sur l’étang et de la Place des Arts du Grand Sudbury.
Texte : Marcel Vaillancourt

                                                                                        

Photo : Manon St-Jules

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Collaboration spéciale de Marcel Vaillancourt. Pour de plus amples renseignements, communiquer avec lui à vailstar@live.ca ou au 647.203.1744.

« Le tout est de tout dire »

Denis le poète

En très peu de mots.

Dans mon village, notre très petit bedeau sonnait le glas dès qu’on lui confirmait le décès d’un paroissien : trois coups pour un homme, deux pour une femme…

Enfant, dans les ruelles imaginaires du village de mon carré de sable, je comptais les cloches qui résonnaient dans le réel de ma paroisse, au rythme de notre table de mortalité.

Vieillard, dans mon cabinet d’écriture imaginaire, les deux pieds dans les rayons d’un soleil d’un hiver trop doux, le bip-bip sonore de mon ordinateur me rappelle à l’écran, il m’annonce le décès de mon cher ami, Denis le poète.

Je m’y attendais, il me l’avait annoncé, mais je ne pouvais pas accepter que notre amitié tire à sa fin sans lui donner le temps, les sentiments et les mots de cet adieu. Le glas sonne les trois longs coups, dans l’airain de ma poitrine, dans l’absence, je suis la voix vibrante qui hurle à l’heure de sa perte de conscience.

Les six derniers vers du poème éponyme de Lignes-Signes, « Je m’embarque », sont devenus les signes bleus de notre amitié. Nous étions jeunes à une époque où il faisait bon d’être jeune, dans un monde où tout était à faire, où il était possible de construire de toutes pièces notre avenir personnel et collectif. Denis le poète écrivait :

« Je m’embarque, je poursuis…
    Le mince fil vivant
         serpente entre
             le mot et le sens
                 entre
             la ligne et le signe. »

Ici, l’engagement du poète est complet et déterminé; confiant, il avance en poésie comme on avance dans la vie, c’est-à-dire comme un funambule littéraire qui suit fidèlement, toutes les courbes élégantes des arabesques des majuscules littéraires et les petites volutes des minuscules poétiques : toutes ces Lignes qui donnent corps à nos Signes… le sens même de notre existence. Un homme qui n’hésitait pas à mettre un pied devant sur la corde raide de la vie. Par ailleurs, il écrivait :

« je t’entends rentrer chez moi
      par le grincement de la porte. »

Ces deux vers de la chute de son beau poème, « J’entends », nous disent parfaitement l’homme qu’il était. Ils nous disent qu’il était à l’affût, à l’écoute, qu’il savait débusquer les images de son poème.

Ou encore les nouvelles du jour, au singulier ou au pluriel.

Car il savait attendre les autres, qu’il savait entendre et dire leur altérité.

Enfin, à la toute fin de tout, ces deux vers nous disent qu’il voulait rentrer chez soi.

Dans les bras de sa « plus que douce », dans le sein de sa famille.

Le voilà au paradis. Cela me rassure.

Adieu cher ami.

EN GUISE DE…

SOUHAIT pour le cinquantième

La maison Prise de Parole, avec les deux « P » en majuscule, a été fondée par Denis St-Jules et moi-même en 1973. Elle célébrera cette semaine ses cinquante ans. À cette occasion, je cède la parole à Denis, l’auteur de ce texte. Mon ami poète a le défaut de sa qualité, il a tendance à minimiser l’importance de son rôle dans la fondation de cette œuvre. Permettez-moi de mettre en valeur sa contribution.

***

« Gaston a commencé par nous proposer, à Jean Lalonde et à moi-même, de participer à des ateliers d’écriture poétique animés par Fernand Dorais, professeur au Département d’études françaises de l’Université Laurentienne et jésuite hors-norme que nous apprenions à connaître et à apprécier pour son côté provocateur. Nous ne savions pas où ça allait mener, si ce n’est dans une exploration créative qui nous parais- sait nécessaire et agréable. Ça s’est avéré plus nécessaire qu’on le croyait.

La maison d’édition Prise de parole n’aurait jamais existé sans l’entêtement et l’audace d’un certain Gaston Tremblay, alors étudiant en lettres françaises à l’Université Laurentienne. Mais il a aussi fallu l’entêtement de quelques amis, dont j’étais, qui ont encouragé Gaston même s’ils ne croyaient qu’à peu près à cette idée audacieuse de créer une maison d’édition française à Sudbury, dans le nord de l’Ontario ! « Ben voyons, Gaston, penses-tu vraiment ? »

Ce qui en a résulté, c’est le recueil de poèmes Lignes-Signes et, en même temps, la toute première maison d’édition indépendante de langue française de l’Ontario, Prise de parole. Il s’agissait, en quelque sorte, d’une troisième vague, à la suite du remous causé par la pièce de théâtre Moé j’viens du Nord ’stie de la troupe universitaire en 1971, qui avait aussitôt engendré le Théâtre du Nouvel-Ontario puis La Nuit sur l’Étang.

La couverture est de Denis et Gaston, janvier 1973.

Lancée officiellement en mai 1973 devant les congressistes de l’ACFO provinciale (aujourd’hui l’AFO), que je sentais sceptiques devant ce geste d’affirmation du jeune homme de 23 ans que j’étais, Prise de parole est née sur des assises fragiles. Tout était à bâtir. Mais l’entêtement a fait son œuvre. Celui de Gaston, bien sûr, mais aussi celui de Robert Dickson, de Claude Belcourt et d’Yvan Rancourt. Ils ont porté la maison à bout de bras pendant ce qu’on a appelé plus tard « la période des catacombes », où la maison se résumait à des dossiers rangés quelque part dans la cuisine de quiconque avait le courage d’assumer les fonctions d’éditeur. On se plaisait à dire que Prise de parole était la maison qui n’existait pas, pour se distinguer de celles, toutes québécoises, qui existaient, mais pas pour nous. C’était peut-être vrai, mais ce n’était peut-être pas la meilleure des stratégies de communication.

Avec de petites subventions et des machines à écrire (oui, des dactylos !), on a produit des livres, rien de moins que la pièce Lavalléville de Paiement et les recueils de poésie de Gaston Tremblay, de Guy Lizotte et d’un certain Patrice Desbiens, entre autres. Un de mes souvenirs les plus précis de cette époque, c’est le moment où Robert Dickson m’a remis le premier manuscrit de Patrice Desbiens, Les conséquences de la vie, en me disant :

« Lis ça, Denis, tu m’en parleras ». On s’en est beaucoup parlé.

À partir de 1978, grâce aux efforts menés auprès du Conseil des arts de l’Ontario pour obtenir un finance- ment plus important et à une offre généreuse du père Albert Régimbal, alors directeur du Centre des jeunes (aujourd’hui le Carrefour francophone), la maison a pu enfin se donner pignon sur rue. Elle a pu aussi se permettre d’embaucher Gaston Tremblay comme directeur, lui qui avait quitté Sudbury pour poursuivre des études pendant quelques années. Étant de retour, il était à la recherche d’un emploi et avait toujours à cœur de voir Prise de parole prendre son envol.

Gaston y restera 10 ans. Ce sera une période de grandes réalisations et de forte croissance malgré une précarité financière presque constante. La maison devra accessoirement déménager pour accommoder un personnel accru, des publications de plus en plus nombreuses à entreposer et même, pour un bref moment, un comptoir du livre.

Les publications de cette période ont solidifié les assises de Prise de parole en tant que maison d’édition en Ontario français. Mais surtout, elles ont mis les mots « littérature franco-ontarienne » sur les lèvres de lecteurs et lectrices, et d’étudiants et étudiantes, en les imposant même aux universitaires récalcitrants et aux programmes-cadres du ministère de l’Éducation de l’Ontario.

Dans ses toutes premières années, Prise de parole était surtout connue comme une maison de poésie et de théâtre. Elle a en effet repéré certaines des grandes voix dans ces domaines. En poésie, retenons Desbiens, Dalpé, Dickson, parmi les plus éloquentes, qui se feront entendre souvent dans les prestations de la « Cuisine de la poésie », sur de nombreuses scènes de l’Ontario et d’ailleurs. En théâtre, ce sont rien de moins que les voix sur lesquelles le théâtre franco-ontarien se bâtira : Paiement, Marinier, Haentjens, Dalpé, Bellefeuille. En publiant des pièces de théâtre, Prise de parole a assuré à ces œuvres une pérennité, un rayonnement et une présence au-delà de la scène.

Cette période a aussi été marquée, du moins pour les membres du comité d’édition de l’époque, par la quête incessante DU roman franco-ontarien qui se vendrait à des milliers d’exemplaires et qui donnerait une stabilité financière à la maison. La Vengeance de l’orignal de Doric Germain, de Hearst, publié en 1980, n’a peut-être pas apporté la grande stabilité financière dont nous rêvions, mais il est devenu le best-seller des romans franco-ontariens en se vendant à des milliers d’exemplaires, grâce à sa place dans les programmes d’études du secondaire.

Sous la direction courageuse de Gaston Tremblay, Prise de parole fera un important travail de défrichage et d’exploration en dehors des genres littéraires qui étaient pourtant à sa base et qui faisaient déjà sa renommée. Les premières aventures dans la production de manuels scolaires, Science 1 et Science 2 d’Alcide Gour et Florian Robillard, n’ont pas été de tout repos, mais ont rapporté de bonnes subventions, car le ministère de l’Éducation tenait à encourager la création en Ontario de manuels scolaires pour les Franco-Ontariens.

Par ailleurs, divers essais ont jeté leur regard sur la société franco-ontarienne, notamment Entre Montréal… et Sudbury de Fernand Dorais et La vie paysanne, 1860-1900 de Germain Lemieux, folkloriste renommé. Prise de parole a aussi poussé l’audace jusqu’à créer une revue littéraire s’ouvrant sur une exploration plus large de la création artistique : la revue Rauque. Sept numéros ont été publiés entre 1984 et 1988.

En tout, Prise de parole a publié une centaine de titres entre 1973 et 1988, l’année où Gaston Tremblay a quitté la direction et cédé sa place à denise truax. La maison a été fidèle à sa mission initiale : elle se voulait « animatrice des arts littéraires chez les francophones de l’Ontario… donc au service de tous les créateurs littéraires franco-ontariens. »

Cette vocation exclusivement franco-ontarienne, nous la défendions parce qu’il y avait tant à faire pour que nos voix se fassent entendre dans une province, l’Ontario, qui se faisait tirer l’oreille et l’autre province, le Québec, qui faisait la sourde oreille. Mais ce qui a toujours importé le plus, c’est que les Franco-Ontariens eux- mêmes puissent les entendre et ce pari, Prise de parole l’a gagné. »

Post-scriptum : Merci à denise truax et Gaston Tremblay de m’avoir fourni de précieuses. informations. J’ai aussi consulté Prendre la parole, Le journal de bord du Grand CANO, de Gaston Tremblay, publié aux éditions Le Nordir en 1995. Merci aussi à Normand Renaud pour son regard pointilleux.

Denis St-Jules, membre fondateur de Prise de parole, a siégé pendant plus de 20 ans au CA et au comité d’édition de la maison d’édition. Il a fait carrière surtout comme animateur à Radio-Canada dans le Nord de l’Ontario pendant 30 ans. Il est originaire de Sault-Sainte-Marie.

Photo : Manon St-Jules

Tête à tête

15 février 2023 3h00 Mis à jour à 13h32

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Tête à tête avec l’auteur Gaston Tremblay

Yves Bergeras

YVES BERGERAS

Le Droit

L’auteur franco-ontarien Gaston Tremblay s’ouvrira au sujet de sa plus récente création littéraire, à l’occasion d’un entretien virtuel organisé samedi 18 février.

L’écrivain a entamé il y a dix ans un projet de trilogie consacré à l’effervescence culturelle de la scène littéraire et théâtrale franco-ontarienne au début des années 1970 – effervescence notamment incarnée par l’aventure de la Coopérative des artistes du Nouvel-Ontario, à Sudbury, à laquelle s’était greffée le jeune Gaston Tremblay.

Cet «ambitieux projet d’écriture» a débuté avec un premier tome (publié en 2012) intitulé Le Grand livre.

Il s’est poursuivi à travers les pages de Derrière le rideau de scène (2022), une «autofiction documentaire» consacrée à la troupe universitaire de l’Université Laurentienne – à la source de la pièce Moé, j’viens du Nord, ‘estie, qui a marqué les esprits – ainsi qu’au journal étudiant de l’institution universitaire.

Au fil des pages de ce deuxième tome paru l’an dernier, on suit le cheminement d’un jeune homme, Albert, qui découvre sa vocation d’écrivain.

Les deux récits sont publiés par Prise de parole, maison d’éditions qu’a dirigée Gaston Tremblay dans les années 80.

Conversation

Cet entretien virtuel avec Gaston Tremblay, qui se déroulera samedi 18 février de 14h à 15h, prendra la forme d’une conversation avec l’enseignante de l’Université Laurentienne Johanne Melançon.

L’écrivain abordera le processus d’écriture de cette œuvre où s’entremêlent réalité et fiction, et pour laquelle il a puisé tant dans ses souvenirs personnels que dans «les archives de ceux et celles qui ont contribué à la naissance de la littérature franco-ontarienne contemporaine».

Poète, romancier, essayiste, éditeur Gaston Tremblay a aussi été administrateur de plusieurs organismes artistiques, dont le Théâtre du Nouvel-Ontario, La nuit sur l’étang, le Théâtre de la Veillée et l’Agora de la danse. En 2013, il a reçu le prix du Nouvel-Ontario, pour l’ensemble de son œuvre littéraire et son engagement socioculturel.

Johanne Melançon

Chercheuse associée au Laboratoire de recherche sur les cultures et les littératures francophones du Canada (RLFC), Johanne Melançon a co-dirigé (avec Lucie Hotte) une «Introduction à la littérature franco-ontarienne» (Prise de parole; 2010).

Les publications universitaires de Mme Melançon portent sur l’œuvre des auteurs, poètes, dramaturges et chanteurs franco-ontariens. Elle s’intéresse en particulier à la mise en valeur des archives du théâtre franco-ontarien, notamment au plan numérique.

Cet entretien virtuel est organisé par la Bibliothèque publique de Toronto.

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Événement: Bibliothèque publique de Toronto

Réservations: Crowdcast

Renseignements: gastontremblay.ca

Les jours les plus tristes d’une vie

Aujourd’hui, le 13 février, c’est le dixième anniversaire de la mort de mon fils, André.

Il y a à peine quelques mois que j’en ai fait mon deuil.

Le 23 janvier, ce fut le quarante-cinquième anniversaire de la mort de Paul-André.

Sont-ce les jours les plus tristes de l’année ?

Heureusement, il y a l’écriture…

Satori à Sudbury

Je marche de long en large dans la salle des pas perdus de la gare ferroviaire. Il y a des barreaux aux fenêtres, mon séjour dans cette ville est terminé, et le train du retour est en retard. Je suis comme une bête dans une cage temporelle ; le codétenu du passé, à quelques pâtés de maisons de ton ultime départ.

J’ai l’impression de quitter cette ville pour toujours. Ma vie est ailleurs, je traîne des souvenirs de cette cité comme un boulet au pied, et ma remémoration de toi est une gangue de slague autour de mon âme. Mon cœur bout comme un métal ardent entouré de scories. Je veux m’évader, fuir notre passé, je veux m’en aller… renaître ailleurs.

Je dois te dire que mon voyage a été déprimant…

Pour les mêmes histoires que d’habitude : rendez-vous annulé, centre-ville fantôme, sentiment d’étrangeté, et cætera. Mais, cette fois, j’ai pris le temps de marcher sur les rives du lac Ramsey, de prendre conscience de mon âge sur un des bancs qui s’y trouve. J’ai l’impression de voyager dans le temps, d’être devenu le personnage du bibelot que tu m’avais donné en 1975, vieil homme assis sur un banc de parc, journal en main, seul, serein… malgré son âge avancé.

Si Sturgeon est le village de mon enfance, Sudbury a marqué ma jeunesse, mes passions, ma joie et, aujourd’hui, en fin de parcours, ma tristesse. Chaque roche, chaque arbre et tous les cailloux de ce sentier en témoignent ; chaque rocher qui s’abîme dans l’eau me rappelle la solitude. Pourtant, c’est un merveilleux parc, un beau petit lac, œil bleu cerné de verdure au milieu d’une ville noire et opaque.

J’entends Neil Young chanter…

There is a town in north Ontario,

With dream comfort memory to spare,

And in my mind I still need a place to go,

All my changes were there

***

Mes premiers souvenirs du lac datent de 1963, lors des journées champêtres organisées par les pères jésuites. Au printemps, on nous accordait une rare permission, celle de sortir le mercredi après-midi pour se rendre au bord de l’eau. Au Collège, c’était tout un événement, les pensionnaires ayant la permission d’y aller à pied. À la queue leu leu, nous emboîtions le pas derrière le frère coadjuteur que nous avions surnommé Alley Oop. Comme des enfants de chœur en procession, nous murmurions :

(Alley Oop, Oop, Oop-oop)

There’s a man in the funny papers we all know

He lived “way back a long time ago”

He don’t eat nothin’ but a bear cat stew

(Alley Oop, Oop, Oop-oop)

À l’avant de la file, le pion de l’occasion faisait la sourde oreille – il était bien aise de ne pas tenir compte de notre parodie – jusqu’à ce qu’un beau flâneur, cigarette au bec, les fesses bien accotées sur la grande affiche de Coca-Cola de Chez Marie’s Cozy Corner, lui fasse des reproches de son regard aguicheur ; humilié, le surveillant s’immobilisait sur le trottoir afin de contrôler d’autorité la colonne des étudiants qui défilaient devant lui… sagement… un sourire sarcastique aux lèvres. Malgré ses coups d’œil de semonce et la possibilité de représailles, pour les deux cents fanfarons que nous étions, ces cinq kilomètres de quasi-liberté étaient toute une aventure.

Tant d’effort pour quelques heures de récréation dans un parc désolé, rocailleux, qui, alors, était parsemé de rares trembles desséchés et de bouleaux solitaires, seuls points de verdure sur les rives de ce lac au beurre noir. Jeux d’équipe, signes de pistes, marche solitaire, amitiés particulières sous la grande coupole bleue. Faire la queue devant la cantine improvisée du frère Viau, qui avait préparé de grands gâteaux au citron au glaçage à la vanille saupoudré de graines de pavot croustillantes, qu’il servait à même les grands cabarets métalliques du réfectoire.

***

En deuil de mon père, puis de ma mère, et maintenant de mon fils… j’ai refait le parcours cinquante ans plus tard.

J’entends Neil Young chanter :

Blue, blue windows behind the stars,

Yellow moon on the rise.

J’entends mon âme pleurer : déjà 2013… je n’ai plus quinze ans.

L’ancienne gare de chemin de fer du centre-ville est déserte, le pont de fer a été remplacé par un viaduc à six voies, la nature a repris possession du parc, la ville a fait construire une promenade en planches de deux kilomètres, un boardwalk de bois traité qui s’accroche désespérément aux rochers noirs qui cernent le lac ; les petites plages qui en adoucissent les bords sont ainsi réunies en un chapelet de points ludiques sur le lac Ramsey.

Le parc est situé sur la rive ouest du lac, le soleil en réchauffe les moindres replis rocailleux qui, ici, laissent passer un ruisseau ; qui, là-bas, s’élargissent pour former une petite lagune accueillante ; qui, au loin, révèlent une plage de sable blond. Là, une femme et son amant s’avancent dans l’eau – l’eau froide leur pourléchant le sexe… Des enfants bruyants s’esclaffent alors que sous un bosquet, des adolescents inquiets sont aux aguets tout en tétant leur pétard.

Tout change et rien ne change ; ma vue baisse, mes muscles s’affaissent et ma « sagesse » comprend que même la « réalité » est relative. En passant devant l’amphithéâtre, les foules de plusieurs festivals apparaissent, disparaissent…, psychedelic time warp, white lightning tabs, electronic flashbacks and purple microdots ! Freak out !

Beam me down Scotty !

***

J’entends mon ami chanter du grand Neil Young :

Big birds flying across the sky,

Leave us

Throwing shadows on our eyes.

Helpless, helpless,

helpless…

Impassibles, d’immenses outardes canadiennes – véritables dindes sauvages – font la file dans l’eau ; elles ne sont pas précédées d’un surveillant en soutane, mais elles savent comment nager à la queue leu leu sur l’onde, depuis toujours et pour toujours.

Le lac frémit,

moi aussi…

Des vaguelettes d’éther s’enflent et déferlent en approchant des rives, comme si elles voulaient inscrire leur histoire sur le sable de ma mémoire.

Si doux soit-il

le souvenir que j’évoque.

Ces vagues de sérénité viennent des profondeurs de mon âme… et peut-être même de l’au-delà de moi : Robert, Yvon, Daniel, Jacques, Paul-André, Suzie… papa, maman, Lucien, et tout récemment André-bébé et bébé-Ché.

Tu marches sur les

Brumes de l’aurore.

Je me baigne dans

la rosée de ces matins.

Je t’attends depuis si longtemps.

Tu viens à moi sur l’eau, tu marches sur l’eau comme le Christ miraculeux, tu n’as pas vieilli, tu rentres de tournée, en grande forme, repu de tes horizons bousculés.

Mes revenants viennent à moi comme les mains de ma mère lorsqu’elle me frottait avec de l’huile Baby’s Own. Ou comme ce pinceau qui jadis appliquait de la gouache psychédélique sur mon corps. Je frémissais d’amour en devenant une affiche vivante…

Pour un moment, je me sens chez moi, comme si j’étais enfin rentré à la maison.

Pour se prélasser dans la paix de l’hiver, une brise d’air frais en plein été, il n’est pas nécessaire de mourir  !

Pour être tranquille, il suffit d’avoir la patience de vieillir.

Suis-je le seul à comprendre cela ?

Les bancs de parc sont accueillants pour ceux qui n’ont plus tout leur temps, mais qui prennent le temps qui reste pour vivre un peu… encore et encore.

Je t’entends chanter la chanson de Neil Young

I want to live

I want to give

I’ve been a miner for a heart of gold

Tes cheveux tombent sur tes épaules, ta guitare entre les mains, l’harmonica autour du cou, tu portais alors un manteau de rawhide doré – le mien était marron – les deux garnis de franges de cuir à la Tommy.

See me, Touch me, Heal me !

Nous étions assis à l’indienne autour d’un feu de camp, nous chantions… Seul sur mon banc, je m’entends chanter les derniers vers de la chanson …

You keep me searching for a heart of gold

And I’m getting old.

Le feu crépitait, les amis chantaient sans savoir ce que la vie leur réservait.

***

Hier, tu venais à moi à tout moment, sans avertissement, tu marchais dans le sentier du parc comme Neil Young dans son champ de blé, tu rentrais de tournée, un esprit fugitif et ivre de ses horizons saboulés.

J’ai vieilli, tu seras toujours le jeune homme qui a refusé ce parcours. Me reconnaîtras-tu ? Me reconnais-tu ? Je suis le bibelot, un vieil homme assis sur un banc de nuage, journal en main, serein malgré son âge… Je suis le papa qui ne l’est plus.

***

Aujourd’hui, votre angoisse m’habite comme une malédiction… Je n’arrive pas à comprendre pourquoi, pourquoi deux fois, pourquoi mon fils…

Aujourd’hui, vous venez à moi à tout moment, sans avertissement, vous marchez à mes côtés comme l’ombre dans laquelle Saint-Denys-Garneau a essayé en vain de se transposer. Vous rentrez de l’au-delà du temps, vous êtes des césures temporelles perdues dans les dédales du temps.

***

Enfin, avec deux heures de retard, sous une coupole bleue, le train file dans l’hinterland du Groupe des sept.

De grands pins blancs

Vert bouteille, vert-de-gris, terre de Sienne

Tordus dans le temps, façonnés par la vie

Dansent-ils dans le vent ?

Dansent-ils de joie, de peine

Ou

Pour défier le temps… pour séduire le destin ?

La locomotive siffle au passage à niveau de Whashago, au cœur du village, les enfants me font des Bye-Byes loufoques et les passagers, exaspérés d’une trop longue escale, crient à l’unisson et en silence : « Toronto, here we come ! »

Je n’en peux plus, mes yeux chavirent, la pile de mon ordi et ce satori s’épuisent simultanément, je ferme mon Grand Livre pour l’automne, en attendant la paix de l’hiver. Peu importe le paysage paradisiaque, je laisse derrière moi ce nirvana virtuel, les deux pieds bien ancrés dans la douleur sourde du présent, je ferme les yeux pour mieux vous voir.

Peu importe les conséquences, je vais aveuglément vers l’amour, vers le futur.

Entre Sudbury et Montréal 1963-2015

Vécrire la littérature et la culture de l’Ontario français : Gaston Tremblay

By TPL Programs

Entretien en ligne : 18 février2023, à 14 h  

Pour réserver une place cliquez ici :  Vécrire la littérature et la culture de l’Ontario français : Gaston Tremblay – Crowdcast

Il y a plus d’une décennie, l »écrivain franco-ontarien Gaston Tremblay a entrepris un ambitieux projet d’écriture : témoigner de l’effervescence culturelle du début des années 1970 et de sa venue à l’écriture dans un Grand livre en trois tomes.  Si le premier tome racontait une grande amitié, consignée dans un journal intime écrit à quatre mains à la fin des années 1960, le second tome, Derrière le rideau de scène (Prise de parole, 2022), nous fait revivre les retrouvailles de ces deux amis d’enfance au sein de la Troupe universitaire et du journal étudiant de l’Université Laurentienne.  Dans cette autofiction documentaire, on apprend comment, au cours de l’année universitaire 1970-1971, un groupe de jeunes a revendiqué des cours de littérature canadienne-française mais surtout a entrepris de présenter en tournée une création collective audacieuse sous le titre provocateur de Moé, j’viens du nord, ‘stie.  On suit aussi le cheminement du jeune Albert, qui vient d’avoir 21 ans, découvrant sa vocation d’écrivain.  Lors de cet entretien, Gaston Tremblay nous parlera du processus d’écriture de cette œuvre qui entremêle réalité et fiction en puisant dans les souvenirs et les archives de ceux et celles qui ont contribué à la naissance de la littérature franco-ontarienne contemporaine.

En conversation avec Johanne Melançon.  Elle a été professeure à l’Université Laurentienne de 2005 à 2021 après avoir enseigné à l’Université de Hearst de1989 à 2005.  Ses publications et ses recherches portent sur l’œuvre de poètes, romanciers et dramaturges franco-ontariens, de même que sur la chanson québécoise et la chanson franco-ontarienne.  Chercheuse associée au Laboratoire de recherche sur les cultures et les littératures francophones du Canada (RLFC), elle a co-dirigé avec Lucie Hotte une Introduction à la littérature franco-ontarienne (Prise de parole, 2010 ; mention au Prix Champlain 2011).  Son projet de recherche actuel porte sur le recours aux humanités numériques pour l’analyse et la mise en valeur des archives du théâtre franco-ontarien.

Entretien en ligne : 18 février2023, à 14 h  

Pour réserver une place cliquez ici :  Vécrire la littérature et la culture de l’Ontario français : Gaston Tremblay – Crowdcast

Vécrire la littérature et la culture de l’Ontario français : Gaston Tremblay

By TPL Programs

Entretien en ligne : 18 février2023, à 14 h  

Pour réserver une place cliquez ici :  Vécrire la littérature et la culture de l’Ontario français : Gaston Tremblay – Crowdcast

Les petits souliers

Illustration : Rita Tremblay

Hier, j’ai visité la Place-Vertu, un beau petit centre commercial dans Saint-Laurent, mon nouveau quartier. Décoration, musique de Noël, une foule en liesse… aussi, il y avait plein de gens de tous les pays, sinon de tous les continents. Les enfants tournoyaient autour de leurs aînés, les grands-parents montaient la garde, les parents jouaient les farfadets : qui vérifiaient leur liste trop longue, qui négociait, qui choisissait celui-ci plutôt que celui-là pour plaire à celles-là… pour combler ceux-là.

En bref, tout un chacun s’affairait à se découper tant bien que mal une généreuse part du rêve américain, sinon de la très riche réalité canadienne. Riche, oui ! mais trop chère. Depuis la pandémie, nous devons vérifier les prix de toutes les denrées dans le panier d’épicerie. Nous ne pouvons plus les lancer automatiquement dans notre panier comme nous le faisions autrefois de peur d’avoir à retrancher les produits onéreux devant tout le monde… à la toute dernière sur le tapis roulant de l’humiliation à l’intransigeante caisse.

Faire les courses pour l’essentiel est devenu une lourde tâche. Cela était d’autant plus vrai que plusieurs vitrines sont désormais barricadées, et que les tablettes des autres magasins sont pour toute fin pratique dénudées.

Mais la musique comme toujours est au rendez-vous, l’ultime remède à tous nos maux, même à toutes nos tristesses. À Noël une chanson est plus appréciée plus que toutes les autres, car elle fait revivre pour nous une époque où nous pouvions comme parents jouer facilement jouer les Saint-Nicolas pour les grands, pour les vieux et surtout pour les tout-petits. Et puis il y a ces fameux refrains de ces merveilleux cantiques qui nous rappellent à la conscience les rêves de notre enfance.

Petit Papa Noël
Quand tu descendras du ciel
Avec des jouets par milliers
N’oublie pas mon petit soulier

Pour mes sœurs et mon frère, cette chanson nous rappelle les activités de la Ligue de la Jeunesse féminine dont ma mère a été la présidente pour une ou deux mandats dans les années soixante. Le Bal des Petits Souliers était définitivement l’évènement social le plus important du printemps dans notre petit village. Plus près de nous, il y avait la soirée des ados Chanteurs de Noël que maman organisait chaque année. Nous passions de maison en maison pour chanter un cantique et surtout pour solliciter des contributions pour le fonds des petits souliers, un fond de la ligue dont le but était d’acheter des souliers pour les pauvres.

Une année, un grand magasin a livré chez nous une immense boîte pleine de petits cadeaux qui devaient tous être réparés avant Noël. Notre maison s’est rapidement transformée en atelier de père Noël, les amies de maman en lutines. Nous étions émerveillés, enchantés et tout à coup conscients de la vie privilégiée que nous vivions.

Cette boîte de cadeaux, cette corvée populaire et le dernier vers de cette chanson m’ont mis la puce à l’oreille. « N’oublie pas mon petit soulier ». Qu’est-ce à dire ? Il a fallu que je visionne à l’internet un clip musical préparé pour une classe d’immersion anglaise pour comprendre que, le petit soulier, c’était l’ancienne version française originale (Tino Rossi 1946) du bas de Noël que la légende a popularisé en Amérique. Cette découverte m’a permis de réconcilier le Bal des petits souliers et la grosse boîte de cadeaux que nous avons distribués dans notre paroisse.

C’est aussi le contexte dans lequel j’ai écrit le texte pour cette carte de Noël que nous avons envoyée à nos amis en 1972, il y déjà cinquante ans !

Le 10 décembre, 1972
66, rue Bloor, Sudbury, Ontario

Redonnons Noël aux enfants !
Quand les premières neiges viennent recouvrir les feuilles de mon jardin je me rappelle l’attente. Au tournant de mes six ans je comptais… quatre dodos… trois dodos… deux dodos et enfin un seul dodo : NOËL ! Au fond de nous se cache un enfant qui rêve, qui compte et qui attend. Mon enfant, sa mère, et moi-même, nous vous invitons à réveiller cet enfant en cous, et compter avec nous les dodos pour que la joie de votre Noël soit ainsi multipliée par le nombre de dodos que nous aurons compté ensemble.

Sincèrement,

La famille GAT.