Il s’agit d’une adaptation pour le grand écran de Francis Leclerc du roman de son père, Félix Leclerc.
Mon exemplaire de ce roman est le seul prix d’excellence que j’ai reçu au collège du Sacré-Cœur. C’était le volume approprié pour récompenser un premier de classe en religion, car tous les principes de la doxa canadienne-française du vingtième siècle y foisonnent, comme autant de feuilles d’érable en automne.
Relire ce roman 2017 a été une expérience tout à fait différente de celle de l’adolescent de quatorze ans que j’étais en 1963. Ce qui fut alors un acte de confirmation de l’univers que j’appréhendais devint, à la deuxième lecture, un voyage nostalgique dans le temps, un acte d’immersion totale dans un monde où toutes les vérités de la vie se révélaient au fil de l’année liturgique, comme autant de feuillets dans une bible illustrée.
Si la vie était belle, c’est qu’elle était simple. Un homme éduqué avait réussi cum laude ses huit années de cours classique : il était avocat, médecin, politicien ou encore un homme de Dieu. Les plus téméraires d’entre nous se faisaient artistes ou encore… écrivains. J’ai relu ce roman avec des larmes à l’œil, ce fut triste de voir le paradis terrestre de deux préadolescents se défaire au rythme de leur conversion à la réalité. Ce passage de l’enfance à la maturité pivote autour de plusieurs thèmes et images réalistes : l’adultère, le suicide, la guerre, la pauvreté extrême des uns et la trop grande richesse des autres et l’âpre blancheur de l’hiver et les fastes couleur de l’automne canadien. Le film se termine sur un Te Deum chanté par la belle voix gavroche du jeune Justin, le comédien qui joue le rôle Félix et, en contrepoint, par la narration d’un passage du roman par le vieillard qu’est devenu l’auteur, qui de sa voix de basse, rauque et chaleureuse narre les dernières pages de son roman.
Le rythme, la musique, le passage d’un tableau à l’autre, le jeu des comédiens : tout est sobre comme dans le roman de Leclerc. On a impression que l’auteur du roman nous fait faire un tour guidé et rythmé de plusieurs tableaux vivants qui se déroulent encore dans son île d’Orléans. La seule extravagance est la nature laurentienne elle-même qui semble surréelle dans sa grandeur toute naturelle, les prises de vues dans les scènes qui se déroulent au Canton Mayou sont époustouflantes. D’ailleurs, cette nature plus grande que nature est un des éléments qui tissent en une seule toile de fond tous ces tableaux qui, dans le roman, sont divisés en deux parties et plusieurs chapitres. Ici, le fils a su mettre en valeur, grâce aux images de son médium des liens, qui dans le roman de son père ne sont pas tout à fait à point.
Justin Leyrolles-Bouchard, le jeune « Félix » semble un peu obnubilé par la légende autour du personnage qu’il interprète ; de ce fait, sa prestation me semble un peu trop retenue tandis que Julien Leclerc, qui incarne Fidor, le meilleur ami de « Félix », nous présente un « Gavroche » des plus décontracté. Roy Dupuis, qui nous a fait connaître à plusieurs reprises des personnages masculins débridés se fait remarquer dans ce film par la sagacité toute tranquille de la virilité de son personnage. Son « Léo » est un papa qui sait aimer, diriger et commander ses enfants, qui sait leur donner des responsabilités, qui sait abattre son cheval quand c’est nécessaire et qui sait pleurer quand sa personne intime l’exige.
Tout compte fait, j’ai préféré ma deuxième lecture, celle de 2017 à la première de 1963, car elle m’a fait revivre des choses que j’ai vécues plusieurs fois ; tandis qu’en 1963, je ne pouvais que deviner ce qui m’attendait dans la vie. Et, surprise, j’ai préféré le film au roman parce que l’unité d’images, de thèmes, de musiques, et jeux des comédiens est plus forte que dans le roman.
Post scriptum: je suis allé voir ce film avec mes deux neveux de 11 ans. Ils m’ont posé peu de questions, ils ne se sont pas ennuyés, bien au contraire ! Cette histoire a bien vécu le passage du temps.