« Le tout est de tout dire »

Denis le poète

En très peu de mots.

Dans mon village, notre très petit bedeau sonnait le glas dès qu’on lui confirmait le décès d’un paroissien : trois coups pour un homme, deux pour une femme…

Enfant, dans les ruelles imaginaires du village de mon carré de sable, je comptais les cloches qui résonnaient dans le réel de ma paroisse, au rythme de notre table de mortalité.

Vieillard, dans mon cabinet d’écriture imaginaire, les deux pieds dans les rayons d’un soleil d’un hiver trop doux, le bip-bip sonore de mon ordinateur me rappelle à l’écran, il m’annonce le décès de mon cher ami, Denis le poète.

Je m’y attendais, il me l’avait annoncé, mais je ne pouvais pas accepter que notre amitié tire à sa fin sans lui donner le temps, les sentiments et les mots de cet adieu. Le glas sonne les trois longs coups, dans l’airain de ma poitrine, dans l’absence, je suis la voix vibrante qui hurle à l’heure de sa perte de conscience.

Les six derniers vers du poème éponyme de Lignes-Signes, « Je m’embarque », sont devenus les signes bleus de notre amitié. Nous étions jeunes à une époque où il faisait bon d’être jeune, dans un monde où tout était à faire, où il était possible de construire de toutes pièces notre avenir personnel et collectif. Denis le poète écrivait :

« Je m’embarque, je poursuis…
    Le mince fil vivant
         serpente entre
             le mot et le sens
                 entre
             la ligne et le signe. »

Ici, l’engagement du poète est complet et déterminé; confiant, il avance en poésie comme on avance dans la vie, c’est-à-dire comme un funambule littéraire qui suit fidèlement, toutes les courbes élégantes des arabesques des majuscules littéraires et les petites volutes des minuscules poétiques : toutes ces Lignes qui donnent corps à nos Signes… le sens même de notre existence. Un homme qui n’hésitait pas à mettre un pied devant sur la corde raide de la vie. Par ailleurs, il écrivait :

« je t’entends rentrer chez moi
      par le grincement de la porte. »

Ces deux vers de la chute de son beau poème, « J’entends », nous disent parfaitement l’homme qu’il était. Ils nous disent qu’il était à l’affût, à l’écoute, qu’il savait débusquer les images de son poème.

Ou encore les nouvelles du jour, au singulier ou au pluriel.

Car il savait attendre les autres, qu’il savait entendre et dire leur altérité.

Enfin, à la toute fin de tout, ces deux vers nous disent qu’il voulait rentrer chez soi.

Dans les bras de sa « plus que douce », dans le sein de sa famille.

Le voilà au paradis. Cela me rassure.

Adieu cher ami.

Une bougie dans la nuit

chandelles

J’ai allumé une bougie
Sa flamme et…
Son essence de palmiers des îles
M’embaument et m’attisent
Je porte ce poème sur mon cœur
En pensant à la vie
Et à la mort

Cet été-là
Il accrochait un monocle à sa poitrine.
Une éclisse de larme
En verre rose
Un bouclier d’optimisme
Pour se prémunir des excès
De sa clairvoyance

Ce matin-ci
J’écrivais un poème sur ma poitrine
Une gerbe de voyelles
Et de consonnes roses
Un bouclier de poésie
Pour me prémunir des excès
De mon aveuglement

Pour comprendre la magie du monocle
Il faut s’ouvrir et s’imaginer
Sept milliards d’hommes et de femmes
Qui font l’amour en même temps
Quand on est seul, c’est intolérable
De là, la règle de l’abstinence
Des Hommes de robe

Pour comprendre la vie, la haine et l’amour
Il faut tenir compte des milliers
De viols, d’abus et de scènes de snuff
Dans la conscience et l’histoire des hommes
Tels de petits animaux blessés, mon âme et ma muse
S’écrient, s’écrivent et lèchent leurs meurtrissures
Pour y survivre.

 

De la fiction, du mensonge et de l’autobiographie

Mon ami Paul-André a écrit « Je suis un comédien, car je suis menteur; je suis musicien, car je recherche la vérité. » Un comédien habite un masque, il est un avatar vivant, un être qui nous dit avec sa chair et son esprit ce qu’il croit important, pertinent, intense et véritable dans le rôle qu’il interprète. Son poème est vivant, de chair et d’esprit, ils évoluent ensemble dans le monde des hommes; de commune entente, dans un lieu virtuel, dans le temps et dans l’espace ils rencontrent les autres.

Mon ami n’était pas menteur, c’est plutôt qu’il ne croyait pas en lui-même, il avait l’impression de jouer un rôle… Il a dû quitter la scène.

En relançant Le grand livre, je me suis engagé à ne rien dire qu’il n’aurait pas dit aujourd’hui, à ne rien écrire qu’il n’écrirait pas,  de ne rien écrire, qui de mon point de vue ne serait pas vrai, de ne pas dire ce qui ne se dit pas; et de raconter une histoire fictive qui puisse être glissée dans une bouteille littéraire, une bouteille que je pourrais lancer sur la mer qu’est la littérature.

Le Grand Livre est vrai,  l’histoire est fictive, c’est une métaphore, un reflet de la vérité. De là le passage du Prélude qui dit : Faut-il le dire ? S’il n’y a rien de vrai dans ce récit, c’est qu’il n’y a rien de faux.

À bien y penser, c’est le contrat éthique que j’ai pris avec moi-même, avec Paul-André et avec mes lecteurs avant d’écrire Le grand Livre.

Tout ce que l’on perçoit est un tableau, une symphonie, un grand parfum, un plat sublime qui mijote sur le feu et, après la lecture, après l’amour, après le sommeil, c’est aussi l’air frais du matin à la fine fleur de notre peau.

Ce que nous en pensons, ce que nous en disons, ce que nous en écrivons sont imprégnés de notre personne.

Et de mon texte, à l’instar de Ponce Pilate,  je ne peux que dire ; ecce homo, que je traduis ainsi : ce n’est qu’un reflet de l’Homme!

GAT

Le post-partum de l’écrivain…

Le 23 juin 2012 en écoutant Grand Lac café

Après après avoir vécu et voyagé pendant six ans dans le monde virtuel de mes personnages me voilà les deux pieds bien ancrés dans le fumier du plancher des vaches. Aie, aie, ayoye, j’ai mal à mon principe de la réalité qui m’en veut de m’être absenté pendant si longtemps.

Tous les nouveaux projets d’écriture que je caressais pendant les trop longues sessions de révisions du Grand Livre m’indiffèrent, tellement que je ne sais plus que faire. Je tourne en rond, j’arrondis les coins, je ne complète rien, je suis moche, je ne suis plus capable d’écrire. Je ne suis qu’une vulgaire araignée qui de toutes ses pattes s’évertue à demeurer à flot sur le tourbillon de l’eau de la douche, qui l’emporte, qui l’emporte…

Tous les soirs, je prépare ma table de travail. Je range tout, j’époussète, je sors le dossier que je me propose pour le lendemain. « Bon, Bon! Demain, je reprends la cognée, c’est ça, c’est ça! Je fais ça! Demain matin! En attendant, je vais dormir…

À l’aube, le lendemain matin, il y a une autre araignée dans le fond de ma douche. Entre me laisser aller dans le courant du tourbillon et celui de la négligence de l’hygiène personnelle, je choisis de le risque de me perdre dans les égouts plutôt que celui de me prélasser dans le dégout de ma personne. Un, deux, trois… bien accroché à mon savon sur cordon, je me lance dans la douche en prenant bien soin de ne pas écraser la fameuse tarentelle.

Propre, propre, je suis propre. La page est souillée d’encre virtuelle et après avoir ri de moi-même pendant quelques minutes… la vie continue.

GAT