De la deuxième à la troisième

J’ai découvert la deuxième personne du singulier en partageant mon journal intime avec mon ami Paul-André. Nous avons découvert le pluriel de la troisième personne en ouvrant un espace commun d’écriture, notre Grand Livre ! Ainsi nous avons lancé nos carrières artistiques, lui dans les arts de la scène et moi en littérature.

À cette époque, tout était à faire dans le Nouvel-Ontario. Dans le cadre de la coopérative des Artistes du Nouvel-Ontario, nous avons construit de toutes pièces un théâtre, une maison d’édition qui perdurent sur la scène régionale et nationale. Le grand livre original était un pacte d’amitié entre deux adolescents, les œuvres de la coopérative CANO furent une amicale de jeunes artistes.

En 1988, j’ai décidé de poursuivre ma carrière sur la scène nationale. Paradoxalement, c’est à Montréal que j’ai découvert et étudié l’œuvre de Jean Éthier-Blais, un auteur de mon village natal. Ce qui a retenu mon attention c’est qu’à la fin de sa vie Jean Éthier-Blais rentre « au pays » en écrivant trois romans qui se déploient dans le Nouvel-Ontario. C’est ainsi qu’il tranche le nœud de son exil. Son retour aux sources correspondait à l’expérience que je vivais après la publication de mon troisième roman. C’est un peu comme si l’exil de Jean-Éthier-Blais me confirmait dans mes propres déplacements littéraires. « Le lieu de l’exil n’est pas celui qui vous est échu. C’est celui que vous avez quitté. […] L’homme qui, arraché à ses objets familiers, descend dans son cœur et y trouve une force à lui inconnue a vaincu l’exil. » Et il ajoute « Nous revenons toujours à la même question : qui suis-je ? »

Cette descente au fond de moi-même m’a incité à relancer l’écriture de Notre Grand Livre, celui qui est au cœur de ma trajectoire artistique, celui qui a été mon lieu de naissance intellectuelle, la porte par laquelle je suis entré en littérature. Il s’en dégage toujours une pulsion organique, poétique et personnelle qui anime ma démarche littéraire.

Le volume un, publié en 2012, est la continuité de mes trois premiers romans : Souvenirs de Daniel (1995), Le Nickel Strange (2000) et Le langage des chiens en 2002. C’est aussi un retour à la case première, au Grand Livre des deux jeunes qui écrivaient, à tour de rôle, des entrées dans leur journal personnel de 1967. Le narrateur, le survivant d’une tragédie, est aussi l’écrivain de la trame narrative. Il se permet d’écrire dans le présent de l’écriture des apartés où il partage avec le lecteur ses opinions au sujet de la trame narrative (1967-1968), à propos du suicide de Paul-André (1978), au sujet de ses lectures et du métier d’écriture.

Ce qui semble être un roman polyphonique n’est en fait qu’une seule voix narrative qui se déplace d’un point d’élocution à l’autre aussi bien que d’une époque à l’autre. Le roman a connu un certain succès d’estime. Il fut le premier roman abordé par le jury lors d’un entretien littéraire au Salon du livre de Toronto au sujet des dix meilleurs romans de l’Ontario français, https://www.youtube.com/watch?v=FDRCTB_2IRo.

Ce que le lecteur pressent dans le premier volume advient dans le deuxième volume du Grand Livre : le Canada français traditionnel éclate, ses institutions culturelles se recentrent sur le Québec et les francophones des régions minoritaires sont laissés à eux-mêmes. Dans « Le rideau de scène », le lecteur retrouve les deux mêmes protagonistes ; mais, leur journal intime s’est déplacé sur la place publique, sur les planches de la Troupe universitaire et dans les pages du journal des étudiants de l’Université Laurentienne.

Dans les dernières pages du deuxième volume (2021), un groupe de comédiens de la Troupe se rassemblent pour fonder le Théâtre du Nouvel-Ontario et la revue littéraire Réaction qui engendrera les éditions Prise de parole en 1973. Ici, le rêve débouche sur la réalité, la fiction débouche sur des projets collectifs ! Les deux protagonistes redoublent d’ardeur leurs projets deviennent des outils de rupture avec le passé, des chapelles de création, des badges d’identification et des lieux de rassemblements artistiques.

Le troisième volume (2023?) est la suite narrative des deux premiers tomes : les deux jeunes hommes qui s’éloignent de leur paroisse, de leur alma mater ; comme il se doit, ils s’investissent dans leurs projets qui se déploient dans le réel du Nouvel-Ontario, des organes de communications qui désormais leur permettront de participer en direct à la prise de parole des francophones d’Amérique, celle qui se déploie au Québec depuis quelques décennies.

Cette autofiction sera le troisième élément du paradigme qu’est mon approche à l’écriture. Il y aura une quarantaine de chapitres basés sur les évènements historiques, une quinzaine d’apartés où l’auteur commentera les évènements importants du passé et du présent de l’écriture, plusieurs entrées du journal intime de l’auteur qui se déploie en parallèle avec la trame narrative des années soixante-dix et dans le présent de l’écriture sur le blogue de l’écrivain, et enfin des lettres, des articles journaux, des poèmes, des chansons de la période.

Une des trois maquettes présentées pour la couverture du volume 1, l'œuvre est de Marie Surprenant, 2012

Publié par

Gaston Tremblay

Poète, romancier, essayiste, éditeur Gaston Tremblay a aussi été administrateur d’organismes artistiques.

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