Voici un extrait de mon nouveau recueil de poésie, Turbulences.
Vendredi
Un pas de danse, un regard
Un pas vers l’autre, des regards qui s’ouvrent
Un tour de hanche, un pas de deux
Une pause langoureuse
Un défi au torse, un sourire érotique aux lèvres
Un pas de plus
Renversez-le ! Pourquoi pas ?
Il vous renverserait
Les yeux dans les yeux
En corps à corps
Vos sexes s’effleurent
Dans
Le Tango du Mont-Royal.
À la veille de nos fêtes nationales, il est important de se rappeler ce qui nous distingue.
Gaston
Bain de culture
À la mémoire de Charlton Heston
Un enfant
Six ans, peut-être sept
Vingt petits kilos de chair innocente
Mitraillée
Déchirée, transpercée, déchiquetée
Par onze balles de liberté constitutionnelle
Une des vingt petites
Dépouilles qui gisent
Dans leur bain de sang américain
Je me permets de me citer ma thèse, «La Littérature du vacuum», dans laquelle je cite Barthes et Bilens pour mettre en valeur le concept que ce vitrail me rappelle à l’esprit « il nous faut signer un contrat avec le lecteur, et ce sont Roland Barthes et Georges Bilens qui nous instruisent, car tous deux se rabattent sur l’écriture pour signer avec le lecteur un pacte de sincérité :
Larvatus prodeo, je m’avance en désignant mon masque du doigt. Que ce soit l’expérience inhumaine du poète, assumant la plus grave des ruptures, celle du langage social ou que ce soit le mensonge crédible du romancier, la sincérité a ici besoin de faux signes faux, et évidemment faux, pour être consommée[1].
Ce sont les coups du brigadier qui précèdent le lever du rideau et, dans le cas qui nous intéresse, c’est la première personne du pluriel du narrateur et la troisième personne du singulier — ou pluriel dans le cas des projets collectifs que nous attribuons à l’auteur lorsqu’il figure dans cette analyse. Indices de surfaces ? Certes, mais ce sont des signes que le lecteur reconnaîtra facilement, car, somme toute, ce sera à lui de faire la part des choses.
Il ne suffit pas de montrer son masque du doigt, car il faut avant tout savoir faire la différence entre l’être et le paraître. Ce qui peut sembler évident aux spectateurs est en fait de la haute voltige pour le comédien qui doit puiser dans son for intérieur pour donner à son personnage un peu de chair, une part de son âme et, pour le temps de la représentation, son sang et son souffle. Mikhaïl Bakhtine parle d’exotopie pour décrire la posture que doit adopter un écrivain pour tenir compte non seulement des objets qu’il veut mettre en scène, mais aussi de sa personne qui est le Sujet et, jusqu’à un certain point, l’Objet du texte qui s’écrit. Cette exotopie, cette posture à l’extérieur de soi, est le topos, le lieu, que choisit l’auteur pour écrire. Au-delà de ses premiers textes autobiographiques, il doit apprendre à se déplacer de topos en topos tout en effectuant des allers-retours entre les postures qu’il adopte et sa personne. Pour survivre, pour ne pas sombrer dans l’abîme, il doit aussi pouvoir, en fin de journée, se recentrer sur lui-même. »
[1] Roland Barthes, 1953. Le Degré zéro de l’écriture. Coll. « Méditations », Paris, Gonthier, p. 37.
Chaque matin, je lis une partie du récit poétique Du pain dans les joues, de Louise Marois. L’histoire d’un couple, d’une maison, et d’un entrepreneur en rénovation. Il n’y pas de dialogues, seulement des discours intérieurs tout en subtilité.
Pour lire ce récit, il fait s’y abandonner, se laisser bercer par le texte. Ce matin, un chapitre m’a rappelé un vers de Robert Dickson :
« Novembre est oriental en sa sobriété »
Un vers qui m’a marqué et qui revient constamment à ma conscience comme un leitmotiv.
Il y a quelques semaines, je l’ai évoqué pour expliquer à un verrier ce que j’aimerais voir dans le vitrail que je lui ai commandé pour la fenêtre de mon atelier. Et puis j’ai tenté de faire revivre l’image suivante, celle-là même qui est au cœur du Langage des chiens.
De rafale en rafale
Dans l’aveuglement du blizzard
L’enfant pose une à une ses galoches
Dans l’évanescence de ses empreintes
Depuis lors, le temps qui passe
Se mesure à la profondeur
De ses traces dans son champ de neige
Comme dans le vif de la chair de cette page.
Nous avons bien travaillé, d’ici quelques jours j’afficherai la photo du vitrail et le texte d’accompagnement.
J’ai allumé une bougie
Sa flamme et…
Son essence de palmiers des îles
M’embaument et m’attisent
Je porte ce poème sur mon cœur
En pensant à la vie
Et à la mort
Cet été-là
Il accrochait un monocle à sa poitrine.
Une éclisse de larme
En verre rose
Un bouclier d’optimisme
Pour se prémunir des excès
De sa clairvoyance
Ce matin-ci
J’écrivais un poème sur ma poitrine
Une gerbe de voyelles
Et de consonnes roses
Un bouclier de poésie
Pour me prémunir des excès
De mon aveuglement
Pour comprendre la magie du monocle
Il faut s’ouvrir et s’imaginer
Sept milliards d’hommes et de femmes
Qui font l’amour en même temps
Quand on est seul, c’est intolérable
De là, la règle de l’abstinence
Des Hommes de robe
Pour comprendre la vie, la haine et l’amour
Il faut tenir compte des milliers
De viols, d’abus et de scènes de snuff
Dans la conscience et l’histoire des hommes
Tels de petits animaux blessés, mon âme et ma muse
S’écrient, s’écrivent et lèchent leurs meurtrissures
Pour y survivre.
Mon grand frère, m’a fortement recommandé d’aller voir le film Saving Mr. Banks, un film qui fut mis en marché en 2013 par le Studio Disney comme un Making Of de Mary Poppins (1964) de Walt Disney lui-même.
Voir Tom Hanks interpréter Walt Disney fut pour moi un voyage dans le temps, un véritable déjà-vu nostalgique. Que de soirées du dimanche que nous avons vécus en famille à regarder The Wonderful World of Walt Disney, The Ed Sullivan show et pour finir Bonanza. Mon père, un homme pratique, avait installé la télévision sur une tablette près du plafond, loin de toutes nos petites mains. Assis en Indiens par terre, entassés sur le canapé carreauté vert et noir ou encore dans les berceuses de bois de grand-maman que notre mère avait recouverte de cuirette verte nous regardions religieusement, dans notre ciel télévisuel, les images animées de Topo Gigio, de Little Joe, de Tinker Bell et même, parfois, de notre personnage préféré, Walt Disney lui-même.
Plus que les bandes annonces, plus que la recommandation de mon frère, ce sont les images de l’interprétation de Tom Hanks que l’on voyait tout dernièrement à la télévision qui m’ont convaincu de me payer une place dans la première rangée du cinéma, comme si j’avais encore huit ans. À l’époque, maman, plus souvent que jamais, refusait de nous payer des billets de cinéma, car nous étions huit. Le seul argument que nous pouvions invoquer avec succès était « Mais c’est un Walt Disney Maman! » Elle décidait alors de se payer une après-midi de repos en envoyant toute sa tralée, les petits sous la garde des grands, à la matinée du cinéma Odéon.
J’ai bien apprécié ce nouveau film si ce n’est que pour tous les souvenirs qu’il m’a rappelés à la mémoire. Mais ce n’est qu’à la toute fin de la présentation que j’ai compris pourquoi mon ainé me l’avait si fortement recommandée. Le film original, Mary Poppins, est l’histoire de la famille de Mary Travers (Emma Thompson) dont le père était un grand rêveur et un alcoolique invétéré. Elle a donc vécu une enfance difficile, ponctuée des jeux fantaisistes que son père organisait et qui étaient tous, immanquablement, suivis d’une descente aux enfers en règle. Selon les scènes de retour arrière du film, ce serait la petite Mary Travers qui aurait donné à son père son dernier flacon de poison. Dans le film de cette année, le défi de Hanks-Disney est de convaincre Thompson-Travers de lui céder ses droits pour qu’il puisse tourner un film au sujet de Mary Poppins. À la fin du film, Disney découvre le secret de Mary Travers et c’est ainsi qu’il réussit à la convaincre de poursuivre son envolée originale qui avait comme leitmotive de réhabiliter son père en créant un monde imaginaire dans lequel elle pourrait sauver papa Banks. Un exercice de sublimation cinématographique, car en effaçant les tares de papa pour mieux mettre en valeur ses qualités elle le réhabilitait dans son imaginaire et sur la place publique.
Il est particulièrement difficile pour un père d’accepter le suicide de son fils, cela est d’autant plus pénible quand il vient tout juste de publier un roman qui est essentiellement un exutoire pour oublier le suicide de son meilleur ami. En survivant au suicide d’un proche, on est nécessairement déchiré entre nos sentiments, entre la révolte et la pitié, entre le rejet et l’acceptation, entre l’antipathie et l’empathie, entre la haine et l’amour… et puis on est submergé dans culpabilité de ressentir en rafales tous ses sentiments.
Le métro est un endroit idéal pour réfléchir, car on doit nécessairement se replier sur soi-même de peur de vivre en public ce qui nous préoccupe. En rentrant à la maison, quelque part entre Atwater et Honoré-Beaugrand, j’ai compris ce que mon frère cherchait à me dire. J’ai compris que je devais tenter de redécouvrir à travers des œuvres d’André qui mon fils était. Que je devais revisiter ses œuvres qui témoignent de sa présence sur terre, de la passion qu’il a vécue, même si parfois ses sentiments étaient pénibles comme ceux que je ressens aujourd’hui et parfois sublimes comme cette photo qui me rappelle que la création passe par la sublimation.
En lisant les épreuves du deuxième volume du Recueil de Dorais[1], j’ai dû faire une pause de vie pour réfléchir à ces deux vers qui se présentent à moi comme une synthèse, comme la synthèse de nos vies.
« L’univers n’existe que pour
Un geste d’Amour. Une Rose. »
Et le temps de cette session de lecture tous mes gestes d’amour m’ont possédé. Maelstrom de souvenance, Let’s do the time warp again, passions débridées, moments de vérités, c’est dans le miroir de l’autre et de l’amour que l’on s’entrevoit pour la première fois.
[1] Dorais Fernand, 2013. Le Recueil de Dorais, vol. 2, Les trois contes d’androgynie suivit du Conte d’amour. Sudbury, Prise de parole, 394 pages.
Pour Pier et David; Jaime et Zacharie; Joël et Michael
J’aimerais jouer de notre amour
Je t’écrirais comme l’on joue de la musique
À la guitare… comme on écrit des poèmes
En pinçant mes mots délicatement
Mes doigts glisseraient le long de tes cordes sensibles
Telle une envolée d’amour
Comme mille feuilles qui, en ce jour, frémissent en l’air
Ma plume virevolterait, tournoierait et, dans la brise, s’envolerait vers toi
À la recherche d’un fil de chaleur
Comme une volée d’oiseaux juchés sur un vers conducteur
Les accents de leurs chants s’accrochent à notre interligne
Comme leurs becs qui piaillent, comme une pointe de plume qui grince
Un vers, une strophe, un poème et même un recueil
Ne suffirait pas à dire tout ce que je veux te dire
Laisse donc mes mots venir vers toi
Avec toi, j’aimerais boire de notre amour
Comme de l’encre qui serait bonne à boire
Laissons ces mots rouges s’écrire en nous
Comme l’encre qui s’épanche sur cette page
Ici Andrée Lacelle. Je vous attendais Au cœur des mots. Aujourd’hui je vous présente le dernier roman de Gaston Tremblay, Le grand livre paru aux Éditions Prise de parole en 2012.
Le grand livre c’est l’histoire de l’amitié partagée entre Gaston Tremblay et le regretté André Paiement. Nous sommes à la fin des années soixante à Sturgeon Falls en Nouvel-Ontario.
Journal intime, autofiction, avec, en toile de fond, une trame poétique.
Vers la fin du livre, on peut lire : « Je suis arrivé à ce qui commence, c’est le temps de fermer ce Grand Livre qui a été notre journal de bord et de passer outre. » (p. 427). J’ai demandé à Gaston Tremblay : Pour aller où ? Outre la mort, outre l’amour, outre l’amitié ? Est-ce parce qu’écrire, c’est plonger au fond de soi pour s’unir à l’autre ? Ou encore, est-ce d’une certaine façon, revenir au point de départ, à l’inassouvi de cette troublante poignée de main ? Écoutons-le.
« Le Grand Livre est un aboutissement, mais ce fut aussi une manière de faire mon deuil de Paul-André et d’Albert, car ces personnages sont des adolescents et je suis un homme de 63 ans.
Paul-André, dans son journal, commente l’expérience de sa vie ainsi : « C’est bizarre, j’ai l’impression d’être en train de vivre mon quatrième cycle de sept ans ».
J’ai découvert à l’Internet un texte au sujet des cycles astrologiques. Selon Rudyar, le quatrième cycle (de 21 ans à 28 ans) est une période de déchirement, car l’individu doit choisir entre l’espoir du futur et la nostalgie du passé. Paul André est resté figé dans son passé, et j’ai voyagé jusqu’à mon neuvième cycle qui, selon Rudyar, est l’occasion d’une troisième naissance, à travers la personnalité et la qualité spirituelle de l’être. Et nous voilà de retour à ce qui commence. »
Je me suis laissée happer par l’intime réel ici raconté. Ce livre me fait penser à un carnet de vie : troublant, à certains moments sublime, mystérieusement humain. Sa vie, la vie, nos vies que Gaston Tremblay nomme lumineusement ces mystères blancs.
Cette capsule a été produite grâce à l’appui du programme Développement des communautés de langues officielles de Patrimoine canadien, de l’Association des auteurs de l’Ontario français et de l’Alliance des radios communautaires du Canada.