Omnia Vincit Amor

Enfin, me revoila.

Après six mois de silence, d’absence, ma voix s’élève comme les bourrasques du blizzard qui tourne autour de l’édifice, je profite de cette journée de neige pour relancer l’écriture du troisième volume de mon Grand Livre.

En pleine pandémie…

AVANT-PROPOS
Des syllogismes et des consignes

Plusieurs opposants au port du masque et à la vaccination contre le covid se défendent en affirmant que les consignes sanitaires de l’État sont des empiètements de la majorité sur les droits de la minorité et plus particulièrement sur la liberté des individus. Cela est peut-être vrai aux États-Unis (j’en doute, comme nous le verrons), mais dans la francophonie les choses sont tout autres.

Photo : André Tremblay, 2006
PHOTO : André Tremblay 2006

Au Québec, « On se souvient », une devise que j’ai eu souvent à expliquer et même à défendre devant des amis français en visite. C’est toujours gênant de justifier notre nostalgie collective pour la France de l’Ancien Régime où il y a eu autant de despotes que de rois magnanimes ! Ce qui est intéressant s’est de se pencher sur les solutions que ces communautés ont appliquées.

La France a eu ses révolutions tranchantes, les Canadiens français ont eu leur révolution tranquille… patiente et à l’anglaise. Les Francos-Ontariens ont eu leur révolution sereine… confortable et faste à l’américaine. Notre « nationalisme » gaulois s’est mué en solidarité, pour mieux s’opposer à « l’autre ». Mais la réalité est toujours aussi tranchante : la minorité propose, la majorité dispose : ici comme ailleurs, la solidarité est le seul bouclier qui puisse assurer une certaine sécurité et la survie des minorités.

En France, les révolutionnaires ont fait table rase, ensemble ils se sont donné un nouveau crédo, un syllogisme de trois mots unaires : Liberté, Égalité, Fraternité. Ce sont tous des mots qui ne disposent que d’une place possible dans l’énoncé, qui ne font partie que d’un seul argument. Les majuscules me semblent essentielles, comme dans les cas du « We the People » du préambule de la constitution américaine. Dans la déclaration d’indépendance, le mot Liberty a été apposé à un élément fondamental de l’humanité : life, la vie elle-même.

« We hold these truths to be self-evident, that all men are created equal, that they are endowed by their Creator with certain unalienable Rights, that among these are Life, Liberty and the pursuit of Happiness. »

Malheureusement, dans cette déclaration, le principe d’égalité qui est essentiel pour assurer la liberté des uns et des autres a été relégué aux oubliettes de l’esclavage. Depuis, une plaie suppure dans la vie sociale et morale des États-Unis.

Dans le syllogisme français, les prémisses s’opposent. Oui, l’individu est absolument libre dans l’absolu, mais seulement si son voisin l’est également. Si toutes les personnes sont égales, elles ont, en liberté, les mêmes droits et, fraternellement, les mêmes devoirs : la liberté de l’un est contiguë à celle de l’autre… à celles des autres dans leur multitude. Pour bien réconcilier ces deux prémisses unaires et absolues, il doit y avoir une conclusion logique et organique : la fraternité qui est fondée sur l’empathie est nécessairement vivante et, de surcroit, elle est inscrite dans la chair des individus.

Non, le port du masque n’attaque pas la liberté individuelle. Bien au contraire, ce geste l’étaie, car la liberté s’exerce fraternellement… en communauté. Le port du masque est une main tendue, c’est un geste bienveillant envers l’autre, envers ses voisins.

Cela est d’autant plus important au cœur d’une pandémie mortelle, là où même la survie de tout un chacun est interdépendante. Là où la multiplicité des solitudes rencontre la solidarité, là où la parole passe de l’écriture à la lecture, de l’un aux Autres. Tendre le bras pour accepter un vaccin est le premier geste d’un acte d’amour.

Ceci est mon corps, ceci est ma main, ceci est ma parole qui passe de mon âme à la vôtre.

Omnia Vincit Amor.

L’écriture, comme la vie en communauté, est un acte de solidarité. Surtout en minorité, là où la rentabilité sociale ou économique n’est qu’un mirage, là où le lectorat est laissé en plan dans un désert médiatique. Croire en moi qui suis seul dans ce pays, croire en nous qui sommes isolés dans cette Amérique… et croire en notre volonté de communier par la lecture, c’est appréhender le monde solidairement pour vivre pleinement.

« Un son de cloche ne dit pas notre chanson
Sa distance et son courage
Aujourd’hui sans boussole pour nous guider
On se lance à l’abordage »
Paul-André Paiement
CANO Musique

Tournée en coccinelle

Le Grand Livre, Septembre 1971

Déjà quatre ans d’amitié…

Le temps coule, il s’écoule, les belles choses changent, sur le chemin du bonheur au malheur il n’y a que de la tristesse. Septembre 1967 me semble si loin. L’amitié est essentielle, réconfortante, mais elle est aussi exigeante parce que l’autre est toujours là, il a des besoins, et c’est parfois dérangeant. Comme un bon vin qui fut, mais qui est maintenant vinaigré.

Paul-André demeure avec nous, l’automne approche. Au-delà de tout, une chanson tourne dans ma tête, au-dessus de mon âme, comme un oiseau angoissé.

If the sky above you should turn dark and full of clouds
And that old north wind should begin to blow
Keep your head together and call my name out loud now
Soon I’ll be knocking upon your door                                        
James Taylor (Carole King)

J’ai vraiment été bête, car je l’ai mis à la porte. C’est une chose qui normalement ne se fait pas. Pas dans mon monde du moins.

Je lui ai demandé de partir, car quand nous étions ensemble, mon épouse, mon ami et moi nous respirions notre propre stress, nous goutions notre angoisse comme si c’était un nuage de souffre qui s’était abattue sur nous. Je ne pouvais plus passer du temps avec lui sans me sentir coupable, coupable de ne pas faire mon devoir.

Dans de telles circonstances, il est important de ne pas blâmer les autres, car ça serait une évasion, une fuite trop facile, une projection malsaine sur les deux autres. S’évader peut-être une bonne chose dans d’autres circonstances quand il n’y a pas d’autre personne d’impliquée issue. Quand il ne nous reste pas d’endroit pour me reposer.

Pour espérer, pour rêver, pour écrire.

Je reviens à Paul-André. Je l’envie, il est libre de poursuivre sa carrière. Ce n’est pas clair où il s’en va, mais au moins il y va, Il m’a demandé la permission d’utiliser mon journal pour produire quelque chose. J’ai trouvé cette demande frustrante, car il m’est presque impossible de refuser, mais en même temps je n’arrive pas à accepter automatiquement. J’ai pris tellement de temps à réfléchir que ma procrastination est de facto devenue un refus.

Il est une heure du matin, je suis étourdi, toutes mes pensées tournent en rond, je sombre.

J’espère le sommeil.

Albert

***

Les trois amis n’abordèrent pas directement la question, le départ de la troupe pour Toronto fut l’occasion de trancher la question. La mère décida de rester à la maison pour s’occuper de son enfant plutôt que de participer à des au revoir qui s’avéreraient certainement difficiles. Pour sa part, Albert accepta de reconduire Paul-André à l’entrée de l’auditorium Fraser, et même d’aider aux comédiens de charger les voitures du convoi de la troupe. Tous les membres de la troupe s’étaient fixé un rendez-vous à l’entrée du théâtre de l’université pour prendre les équipements et les décors du Septième jour. Tous les blocs de décors escamotables, les haut-parleurs, les luminaires et les pieds avec une barre en « T » furent rapidement relégués à la remorque de Robert tandis que les amplificateurs, les blocs de puissance et leurs petits panneaux de contrôles Strand-Century furent placés dans le coffre sécuritaire à l’arrière de l’habitacle de la familiale de Jean-Paul.

Comme si ce n’était pas suffisant, les techniciens durent jucher une énorme boîte de bois plein d’accessoires divers et de lourd filage. En riant, ils versèrent de la broue de bière sur son capot avant, ils affublèrent la familiale « la coccinelle en balloune » ou « Jaypee’s pregnant love bug ». La petite Datsun rouge de Pierre le directeur ouvrait la marche, la grosse minoune blanche de Robert vrombissait en tirant sa remorque au centre et la Volkswagen enceinte fermait le cortège, comme une allégorie dynamique du drapeau Canadian du rouge, du blanc et encore du rouge avec le bleu de la francophonie canadienne relégué aux habitacles des minorités.

Quand tout fut bouclé, quand tout fut dit, Pierre le papillon s’écria « All aboard!!! ». Et Robert le musicien ajouta « N’oubliez pas de faire un arrêt au look-out de la rivière des Français. » Albert se sentait exclu, triste, il se tenait à l’écart du groupe. Paul-André s’arrêta pour lui dire quelques mots avant de s’embarquer.

  • « Bon, c’est le temps de partir.
  • – J’espère que tu n’es pas fâché… Paul-André je…
  • – Albert., n’intiquiète-toé pas, [sic] j’ai tout compris, prends bien soin de ta femme ! En ce moment, à l’a besoin de toute ton attention » dit-il en embrassant son ami sur les joues, pour lui faire un baiser amical… à l’européenne. »

Paul-André fut le dixième à s’embarquer. Il prit sa place dans le siège du navigateur, car on lui avait demandé de guider Jean-Paul jusqu’au rendez-vous du look-out fluorescent près de la rivière des Français. En ensuite de lui indiquer la piste à suivre à travers la ville de Toronto, car Pierre le directeur avait décidé que le convoi monterait en ville par l’avenue Road jusqu’à Yorkville, au carrefour de la rue Bloor. Albert regardait son ami s’installer dans son siège, il ne put s’empêcher de penser qu’il ne reverrait pas son ami de sitôt…

cela l’attrista, il s’évada dans « ses ailleurs », le temps de revivre virtuellement le dernier voyage qu’il avait vécu avec Paul-André et Robert le musicien en 1970. En regardant par la fenêtre de la voiture, il crut voir double, mais il comprit rapidement qu’il ne s’agissait pas deux apparitions de Bonnie, l’ancienne blonde de Robert, mais de Michelle et Monique les deux nouvelles comédiennes de Montréal qui derrière leurs masques de corneille coassaient sur le petit siège des enfants de la familiale allemande de Jean-Paul.

***

En s’approchant de la montée de la grande colline, Robert écrasa le champignon de sa grosse minoune pour dépasser la Datsun du directeur. La Galaxie 500 eut à peine le temps de se ranger devant les autres voitures pour ouvrir le chemin. Le conducteur activa son clignoteur droit pour indiquer aux deux autres voitures que c’était le temps de s’arrêter pour la pause. La grosse berline nord-américaine n’eut aucun problème à s’envoler vers le sommet, laissant derrière elle la petite Datsun qui ahana un peu en atteignant le niveau du point de vue panoramique. Mais c’est l’arrivée de la coccinelle en balloune qui fit rire les comédiens, car son conducteur devait abuser de la pédale d’embrayage pour faire sautiller sa voiturette comme une lapine engrossée, bien fourrée d’équipements trop lourds.

– Ouf, Ouff et puis Ouff s’exclama Jean-Paul soulagé d’être arrivé sans briser quoique ce soit.

– Enfin, on aurait cru que ta machine était en travail.

– Comment ça ?

– Mais où sont les comédiens ? cria Pierre le directeur.

– Ben, j’ai eu des problèmes à monter la côte répondit Jean-Paul pour défendre son rôle dans l’histoire. Ils ont été obligé de monter la côte en marchant.

– La familiale de Jaypee, a fait une fausse couche cria une des corneilles ! en rattrapant la voiture.

– Nous sommes les avortons, nous n’sommes pas une omelette, nous sommes les oisillons, les corneilles du futur. Coassons, coassons, entonnèrent les deux corneilles en coassant de plus belle.

  • – Et je suis leur grand Corbeau, cria Paul-André en partageant son gros Joe avec toute la troupe.
  • – Au fur et à mesure que les deux belles corneilles picoraient les grenailles dans les gros Joe de Paul-André elles s’exclamèrent en chœur « Ah ben, t’as ben raison, le noir de la pollution est tellement incrusté dans les rochers que le flanc de la montagne est fluorescent.
  • – Too much coassa Pierre le Papillon, moi qui pensais que c’étaient des hallucinations. C’est juste d’la pollution on est en terre connue.
  • – Non merci, dit Jean-Paul, surtout pas d’hallucinations pour moi, parce que moi je n’ai pas tellement l’habitude et puis aujourd’hui j’en ai plein les mains de conduire ma familiale.
  • – Bonne idée, les conducteurs devraient… euh… directeur en emboîtant le pas sans trop y croire…
  • – Ahh, pour moé, c’n’est pas la même chose, lâche Robert.
  • – Pourquoi demandèrent les corneilles.
  • – Parce que mon char connaît la route par cœur. »

***

Nouveaux volumes du Grand livre

L’inspiration et la structure de la trilogie

Le deuxième volume du Grand Livre, Derrière le rideau de scène, paraîtra cet automne, en 2021, afin de souligner de 50e anniversaire de la fondation du théâtre du Nouvel-Ontario. La publication du troisième volume, « De la parole et de la nuit » est prévue pour le printemps 2023, à l’occasion du 50e anniversaire de la fondation des éditions Prise de parole et de la Nuit sur l’étang.

J’ai découvert la deuxième personne du singulier en partageant mon journal intime avec mon ami Paul-André. Nous avons découvert le singulier de la troisième personne en ouvrant un espace commun d’écriture, notre Grand Livre ! Ainsi nous avons lancé nos carrières artistiques, lui dans les arts de la scène et moi en littérature.

À cette époque, tout était à faire dans le Nouvel-Ontario. Dans le cadre de la Coopérative des artistes du Nouvel-Ontario, nous avons construit de toutes pièces un théâtre, une maison d’édition qui perdurent sur la scène régionale et nationale. Le grand livre original était un pacte d’amitié entre deux adolescents, les œuvres de la coopérative CANO furent une amicale de jeunes artistes. Ce fut la découverte de la première et deuxième personne du pluriel ; les nous et vous de notre collectif, qui s’ouvrent nécessairement les bel-ils [sic] et les belles-elles sur la place publique

***

En 1988, j’ai décidé de poursuivre ma carrière sur la scène nationale. Paradoxalement, c’est à Montréal que j’ai découvert et étudié l’œuvre de Jean Éthier-Blais, un auteur de mon village natal. Ce qui a retenu mon attention c’est qu’à la fin de sa vie Jean Éthier-Blais rentre « au pays » en écrivant trois romans qui se déploient dans le Nouvel-Ontario. C’est ainsi qu’il tranche le nœud de son exil. Son retour aux sources correspondait à l’expérience que je vivais après la publication de mon troisième roman. C’est un peu comme si l’exil de Jean Éthier-Blais me confirmait dans mes propres déplacements littéraires. « Le lieu de l’exil n’est pas celui qui vous est échu. C’est celui que vous avez quitté. […] L’homme qui, arraché à ses objets familiers, descend dans son cœur et y trouve une force à lui inconnue a vaincu l’exil. » Et il ajoute « Nous revenons toujours à la même question : qui suis-je ? »

Cette descente au fond de moi-même m’a incité à relancer l’écriture de Notre Grand Livre, celui qui est au cœur de ma trajectoire artistique, celui qui a été mon lieu de naissance intellectuelle, la porte par laquelle je suis entré en littérature. Il s’en dégage toujours une pulsion organique, poétique et personnelle qui anime ma démarche littéraire.

Le volume un du Grand Livre, publié en 2012, est la continuité de mes trois premiers romans. C’est aussi un retour à la case première, au Grand Livre des deux jeunes qui écrivaient, à tour de rôle, des entrées dans leur journal personnel de 1967. Le narrateur, le survivant d’une tragédie, est aussi l’écrivain de la trame narrative. Il se permet d’écrire dans le présent de l’écriture des apartés où il partage avec le lecteur ses opinions au sujet de la trame narrative (1967-1968), à propos du suicide de Paul-André (1978), au sujet de ses lectures et du métier d’écriture. Pour plus d’information, cliquez sur cet hyperlien.

Ce qui semble être un roman polyphonique n’est en fait qu’une seule voix narrative qui se déplace d’un point d’élocution à l’autre aussi bien que d’une époque à l’autre. Le roman a connu un certain succès d’estime. Il fut le premier roman abordé par le jury lors d’un entretien littéraire au Salon du livre de Toronto au sujet des dix meilleurs romans de l’Ontario français, voir l’hyperlien dans la documentation d’appui.

Ce que le lecteur pressent dans le premier volume advient dans le deuxième volume du Grand Livre : le Canada français traditionnel éclate, ses institutions culturelles se recentrent sur le Québec et les francophones des régions minoritaires sont laissés à eux-mêmes. Dans « Le rideau de scène », le lecteur retrouve les deux mêmes protagonistes ; mais, leur journal intime s’est déplacé sur la place publique, sur les planches de la Troupe universitaire et dans les pages du Lambdam le journal des étudiants de ce qui fut l’Université Laurentienne.

Le troisième volume est la suite narrative des deux premiers tomes : les deux jeunes hommes qui s’éloignent de leur paroisse, de leur alma mater ; comme il se doit, ils s’investissent dans leurs projets qui se déploient dans le réel du Nouvel-Ontario, des organes de communications qui désormais leur permettront de participer en direct à la prise de parole des francophones d’Amérique, celle qui se déploie au Québec depuis quelques décennies.

Cette autofiction sera le troisième élément du paradigme qu’est mon approche à l’écriture. Il y aura une quarantaine de chapitres basés sur les évènements historiques, une quinzaine d’apartés où l’auteur commentera les évènements importants du passé et du présent de l’écriture, plusieurs entrées du journal intime de l’auteur qui se déploie en parallèle avec la trame narrative des années soixante-dix et dans le présent de l’écriture sur le blogue de l’écrivain, et enfin des lettres, des articles journaux, des poèmes, des chansons de la période.

***

Les évènements dont je parle dans ces romans sont en fait des happenings, de la promotion de l’autre en tant qu’autre, des expériences sapientielles vécues librement en communauté qui s’ouvrent le droit à la subjectivité. Pour souligner l’importance de ce phénomène, les deux derniers volumes de cette trilogie viendront souligner l’anniversaire de la fondation du Théâtre du nouvel Ontario (2021), de Prise de parole et de la Nuit sur l’étang (2023).

Les anniversaires de ces organismes sont importants parce qu’ils sont à la fine pointe d’un mouvement qui préconise la production et la mise en valeur d’œuvres artistiques typiquement franco-ontariennes. Ayant beaucoup étudié la question, je ne dirais pas que c’est le début de la culture franco-ontarienne, mais plutôt l’étincelle qui a fait que quelques années plus tard les artistes canadiens-français de Toronto, d’Ottawa d’un peu partout en province, se sont dits Franco-ontariens. Leur tout étant devenu plus grand que la somme de leurs parties : le collectif devint un mouvement culturel.

Les trois volumes du Grand Livre ne sont pas et ne deviendront pas des essais littéraires (et même pas des cas d’espèce), ils sont et seront des happenings, des célébrations de la démarche des artistes franco-ontariens depuis cinquante ans.

DEUX NOUVEAUX VOLUMES DU GRAND LIVRE

L’inspiration et la trilogie

Le deuxième volume du Grand Livre, Derrière le rideau de scène, paraîtra cet automne, en 2021, afin de souligner de 50e anniversaire de la fondation du théâtre du Nouvel-Ontario. La publication du troisième volume, « De la parole et de la nuit » est prévue pour le printemps 2023, à l’occasion du 50e anniversaire de la fondation des éditions Prise de parole et de la Nuit sur l’étang.

J’ai découvert la deuxième personne du singulier en partageant mon journal intime avec mon ami Paul-André. Nous avons découvert le singulier de la troisième personne en ouvrant un espace commun d’écriture, notre Grand Livre ! Ainsi nous avons lancé nos carrières artistiques, lui dans les arts de la scène et moi en littérature.

À cette époque, tout était à faire dans le Nouvel-Ontario. Dans le cadre de la Coopérative des artistes du Nouvel-Ontario, nous avons construit de toutes pièces un théâtre, une maison d’édition qui perdurent sur la scène régionale et nationale. Le grand livre original était un pacte d’amitié entre deux adolescents, les œuvres de la coopérative CANO furent une amicale de jeunes artistes. Ce fut la découverte de la première et deuxième personne du pluriel ; les nous et vous de notre collectif, qui s’ouvrent nécessairement les bel-ils [sic] et les belles-elles sur la place publique.

***

En 1988, j’ai décidé de poursuivre ma carrière sur la scène nationale. Paradoxalement, c’est à Montréal que j’ai découvert et étudié l’œuvre de Jean Éthier-Blais, un auteur de mon village natal. Ce qui a retenu mon attention c’est qu’à la fin de sa vie Jean Éthier-Blais rentre « au pays » en écrivant trois romans qui se déploient dans le Nouvel-Ontario. C’est ainsi qu’il tranche le nœud de son exil. Son retour aux sources correspondait à l’expérience que je vivais après la publication de mon troisième roman. C’est un peu comme si l’exil de Jean Éthier-Blais me confirmait dans mes propres déplacements littéraires. « Le lieu de l’exil n’est pas celui qui vous est échu. C’est celui que vous avez quitté. […] L’homme qui, arraché à ses objets familiers, descend dans son cœur et y trouve une force à lui inconnue a vaincu l’exil. » Et il ajoute « Nous revenons toujours à la même question : qui suis-je ? »

Cette descente au fond de moi-même m’a incité à relancer l’écriture de Notre Grand Livre, celui qui est au cœur de ma trajectoire artistique, celui qui a été mon lieu de naissance intellectuelle, la porte par laquelle je suis entré en littérature. Il s’en dégage toujours une pulsion organique, poétique et personnelle qui anime ma démarche littéraire.

Le volume un du Grand Livre, publié en 2012, est la continuité de mes trois premiers romans. C’est aussi un retour à la case première, au Grand Livre des deux jeunes qui écrivaient, à tour de rôle, des entrées dans leur journal personnel de 1967. Le narrateur, le survivant d’une tragédie, est aussi l’écrivain de la trame narrative. Il se permet d’écrire dans le présent de l’écriture des apartés où il partage avec le lecteur ses opinions au sujet de la trame narrative (1967-1968), à propos du suicide de Paul-André (1978), au sujet de ses lectures et du métier d’écriture.

Ce qui semble être un roman polyphonique n’est en fait qu’une seule voix narrative qui se déplace d’un point d’élocution à l’autre aussi bien que d’une époque à l’autre. Le roman a connu un certain succès d’estime. Il fut le premier roman abordé par le jury lors d’un entretien littéraire au Salon du livre de Toronto au sujet des dix meilleurs romans de l’Ontario français.

Ce que le lecteur pressent dans le premier volume advient dans le deuxième volume du Grand Livre : le Canada français traditionnel éclate, ses institutions culturelles se recentrent sur le Québec et les francophones des régions minoritaires sont laissés à eux-mêmes. Dans « Le rideau de scène », le lecteur retrouve les deux mêmes protagonistes ; mais, leur journal intime s’est déplacé sur la place publique, sur les planches de la Troupe universitaire et dans les pages du Lambda, le journal des étudiants de ce qui fut l’Université Laurentienne.

Le troisième volume est la suite narrative des deux premiers tomes : les deux jeunes hommes qui s’éloignent de leur paroisse, de leur alma mater ; comme il se doit, ils s’investissent dans leurs projets qui se déploient dans le réel du Nouvel-Ontario, des organes de communications qui désormais leur permettront de participer en direct à la prise de parole des francophones d’Amérique, celle qui se déploie au Québec depuis quelques décennies.

Cette autofiction sera le troisième élément du paradigme qu’est mon approche à l’écriture. Il y aura une quarantaine de chapitres basés sur les évènements historiques, une quinzaine d’apartés où l’auteur commentera les évènements importants du passé et du présent de l’écriture, plusieurs entrées du journal intime de l’auteur qui se déploie en parallèle avec la trame narrative des années soixante-dix et dans le présent de l’écriture sur le blogue de l’écrivain, et enfin des lettres, des articles journaux, des poèmes, des chansons de la période.

***

Les évènements dont je parle dans ces romans sont en fait des happenings, de la promotion de l’autre en tant qu’autre, des expériences sapientielles vécues librement en communauté qui s’ouvrent le droit à la subjectivité. Pour souligner l’importance de ce phénomène, les deux derniers volumes de cette trilogie viendront souligner l’anniversaire de la fondation du Théâtre du nouvel Ontario (2021), de Prise de parole et de la Nuit sur l’étang (2023).

Les anniversaires de ces organismes sont importants parce qu’ils sont à la fine pointe d’un mouvement qui préconise la production et la mise en valeur d’œuvres artistiques typiquement franco-ontariennes. Ayant beaucoup étudié la question, je ne dirais pas que c’est le début de la culture franco-ontarienne, mais plutôt l’étincelle qui a fait que quelques années plus tard les artistes canadiens-français de Toronto, d’Ottawa d’un peu partout en province, se sont dits Franco-ontariens. Leur tout étant devenu plus grand que la somme de leurs parties : le collectif devint un mouvement culturel.

Les trois volumes du Grand Livre ne sont pas et ne deviendront pas des essais littéraires (et même pas des cas d’espèce), ils sont et seront des happenings, des célébrations de la démarche des artistes franco-ontariens depuis cinquante ans.

Cinquante ans plus tard; Moé, j’viens du Nord, ‘stie résonne encore

Andréanne Joly : Francopresse
Andréanne Joly Francopresse

FRANCOPRESSE – ll y a 50 ans, la Troupe de théâtre de l’Université Laurentienne de Sudbury créait l’œuvre collective Moé, j’viens du Nord, ‘stie. Ce texte qui résonne encore aujourd’hui en Ontario français a non seulement mené à la création du Théâtre du Nouvel-Ontario, il a aussi marqué l’affirmation de la culture francophone nord-ontarienne.

De gauche à droite: André Paiement (Roger); Gaston Tremblay (Marc); Denis Courville (Raymond).

En pleine contreculture

Automne 1970, un groupe d’amis passionnés de théâtre quitte Sudbury en direction de Toronto pour voir la comédie musicale Hair et le film 2001, A Space Odyssey. Ils sont impressionnés par l’exubérance de l’une et par les effets visuels de l’autre ; ils en reviennent inspirés.


« En tout cas, je m’appelle Roger. Mes chums, y m’appellent Rog. J’ai 18 ans pis j’suis né icitte à Sudbury, en plein Nord-Ontarien… Ha, ha! It’s great to be a Northerner. »— Extrait de Moé, j’viens du Nord, ‘stie

Pour lire l’article, cliquez sur l’hyperlien : ici-bas !

Cinquante ans plus tard, Moé, j’viens du Nord, ‘stie résonne encore | Arts et culture | Actualité | Francopresse

L’incipit de mon prochaine roman

Le Grand Livre, volume 3, chapitre 1     

Fight, Flight… Freeze

Le vent du Nord soufflait autour de lui, une bourrasque aussi soudaine que violente souleva son foulard. Hors de contrôle, son cache-nez battait dans l’air, Albert n’arrivait pas à le replacer à son avantage. Pendant une accalmie, le survêtement s’enroula autour de sa tête, lui protégeant les oreilles, mais lui bandant les yeux. Du bout de ses doigts, Albert serra l’écharpe autour de son cou pour empêcher la tempête de se glisser sous son manteau, entre sa chair et les bourrelets de laine isolante de sa canadienne. Mais, surtout, il voulait libérer sa vue, car il était curieux de voir ce qu’il y avait dans l’ancienne grange abandonnée derrière leur nouvelle demeure. Les portes de service, suffisamment grande pour laisser passer un tracteur battait au vent, tout l’édifice craquait. Il était maintenant un entrepôt de bric-à-brac obsolètes : des outils de défricheur, des instruments aratoires d’une autre époque, des anciens meubles défraichis… En fait, ce hangar abritait tous les gréements d’une famille qui avaient courageusement, de génération en génération, exploité cette petite terre à quelques kilomètres du village de Sturgeon Falls. Dans un rang tranquille où presque personne ne s’aventurait sauf peut-être les hippies qui voulait faire un retour à la terre. Ce n’était pas le cas d’Albert, il cherchait la paix de l’hiver, mais sa démarche était la même.

Cette grange de bois gris, ses portes rabattues négligemment sur ses flancs, lui rappelait le cabinet de luxe du téléviseur de ses grands-parents qui lui permettaient de regarder avec eux Les belles histoires des pays d’en haut qui était entre autres un documentaire sur les exploitations fermières d’antan. En fait, sa curiosité était pour lui beaucoup plus un regard nostalgique sur l’intérieur de l’atelier de son grand-père paternel, c’était une recherche aux fonds de son âme. Albert entra, timidement… un autre coup de vent s’éleva, contourna et embrassa l’édifice : les portes se refermèrent derrière Albert. Il sursauta. Ses yeux clignèrent, désorienté son corps battait l’air, ses pieds cherchaient la terre ferme, il tomba à la renverse. Le vent hurlait, les portes claquaient à qui mieux mieux. Étourdit, sa tête frappa le revers d’un socle, le toit de métal ondulé grinçait, le plafond tournait au-dessus de son corps, la lumière entrait dans la pièce à travers des murs ajourés. La tempête tomba subitement, le vent s’assoupit, Albert aussi, il sombra dans un rêve agité.

Photo : Un homme qui marche dans la tempête,
André Tremblay

Je suis libre, vous êtes libres, nous le sommes…

Le port du masque,
une expression de la fraternité française !

Plusieurs opposants au port du masque se défendent en suggérant que les consignes sanitaires de l’État soient des empiètements de la majorité sur les libertés de la minorité et plus particulièrement sur celle des individus. Cela est peut-être vrai aux États-Unis (j’en doute, comme nous le verrons), mais dans la francophonie les choses sont tout autres.

Au Québec, « On se souvient », un concept que j’ai eu souvent à expliquer a des amis français en visite. Comment peut-on se souvenir, être de nostalgique pour la France de l’Ancien Régime où il y a eu autant de despotes que de rois ?

La France a eu ces révolutions sanglantes, nous avons eu notre révolution tranquille… à l’anglaise. Et les Francos-Ontariens ont eu leur révolution sereine. En Amérique, notre « nationalisme » gaulois s’est mué en solidarité, pour mieux s’opposer à « l’autre ». La minorité propose, la majorité dispose, la solidarité est la seule proposition qui puisse assurer la survie des minorités.

En France, les révolutionnaires ont pu faire table rase, ensemble ils se sont donné un nouveau crédo, un syllogisme de mots unaires : Liberté, Égalité, Fraternité. Les majuscules me semblent essentielles, comme dans les cas du « We the People » dans le préambule de la déclaration d’indépendance américaine. Malheureusement, cette déclaration ne contient que des variantes des deux derniers mots ; la première prémisse, la liberté ayant été reléguée aux oubliettes de l’esclavage.

Ici, les prémisses s’opposent. Oui. Je suis absolument libre, mais mon voisin l’est également. Si toutes les personnes sont égales, elles ont, en liberté, les mêmes droits et, fraternellement les mêmes devoirs. Donc, la liberté de l’un est contiguë à celle des autres. Pour bien réconcilier ces deux prémisses lunaires et absolues, il doit y avoir une conclusion logique et organique, et la fraternité est nécessairement vivante et, de surcroit, inscrite dans la chair des individus.

Non, le port du masque n’attaque pas la liberté individuelle. Bien au contraire ce geste l’étaie, car la liberté s’exerce en communauté. Le port du masque est une main tendue, c’est un geste bienveillant envers son voisin. Cela est d’autant plus important au cœur d’une pandémie mortelle, là où la santé et même la survie de tout un chacun sont interdépendantes.

Unaire : Selon le Larousse, adjectif. « Se dit d’un élément logique qui ne dispose que d’une place possible, qui ne peut avoir qu’un seul argument. »

Topo-Gigio, la réalité et une peinture de Goya

LE BLOGUE DE GASTON

Ce soir, jour de la Saint-Valentin, j’ai délaissé les ondes de l’American-Live-TV pour regarder Crazy-Heart, un film de musique western.
Pour moi les États étaient les pays de Walt Disney, de la cabane du Shaggy Dog, de la maison de billes de Daniel Boone, de Rintintin et de Lassie. C’était aussi la section de journal des bandes dessinées de Mickey Mouse, de Donald etTopo ses trois petits neveux, des programmes de Lucille Ball, d’Ed Sullivan et de son ami Topo Gigio.
C’était le pays des oranges à l’époque où les oranges étaient rares en hiver. C’était un pays magique, celui d’Elvis Presley qui chantait Crying in the Chapel en noir et blanc.

« America the beautiful.
The land of the free and the brave »

Et le paradis n’est plus, c’est le déclin de l’empire américain dans le grand colisée américain, les nouvelles de six heures, en direct et ensanglantées…

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Le 2e volume du Grand Livre

https://ici.radio-canada.ca/premiere/emissions/jonction-11-17/segments/entrevue/206074/gaston-tremblay-crise-octobre-1970-livre

Voici un hyperlien vers un entretien que j’ai eu avec CBON, Radio Canada dans le Grand Sudbury, au sujet des évènements d’octobre de 1970 et de l’écriture de mon deuxième Grand Livre.

La chasse aux canards

Pour l’oncle Albert

Et pour mes cousines et mon cousin Levesque-Tremblay

Je suis de la pinède

Que j’ai cultivée

Sur les rives du lac Clair

Tu es de l’eau

Qui lèche les galets

Sur les plages du lac Nipissing

Je suis du roc

Que j’ai foré six cents pieds sous terre

Au fond de la Frood-Stobie

Tu es de rigodons

De chansons grivoises, tu as même

Un Minuit chrétien rigolo au gorgoton

Je suis des fleurs noires

Qui alourdissent les branches

Des épinettes au nord de chez ma mère

Tu es de roseaux, de nénuphars

D’automne, de froidure et d’éclats de rire

Et

Ton âme flotte toujours entre les joncs

De nos lacs et marais.

Gaston-Albert Tremblay