Il s’agit d’une adaptation pour le grand écran de Francis Leclerc du roman de son père, Félix Leclerc.
Mon exemplaire de ce roman est le seul prix d’excellence que j’ai reçu au collège du Sacré-Cœur. C’était le volume approprié pour récompenser un premier de classe en religion, car tous les principes de la doxa canadienne-française du vingtième siècle y foisonnent, comme autant de feuilles d’érable en automne.
Relire ce roman 2017 a été une expérience tout à fait différente de celle de l’adolescent de quatorze ans que j’étais en 1963. Ce qui fut alors un acte de confirmation de l’univers que j’appréhendais devint, à la deuxième lecture, un voyage nostalgique dans le temps, un acte d’immersion totale dans un monde où toutes les vérités de la vie se révélaient au fil de l’année liturgique, comme autant de feuillets dans une bible illustrée.
Si la vie était belle, c’est qu’elle était simple. Un homme éduqué avait réussi cum laude ses huit années de cours classique : il était avocat, médecin, politicien ou encore un homme de Dieu. Les plus téméraires d’entre nous se faisaient artistes ou encore… écrivains. J’ai relu ce roman avec des larmes à l’œil, ce fut triste de voir le paradis terrestre de deux préadolescents se défaire au rythme de leur conversion à la réalité. Ce passage de l’enfance à la maturité pivote autour de plusieurs thèmes et images réalistes : l’adultère, le suicide, la guerre, la pauvreté extrême des uns et la trop grande richesse des autres et l’âpre blancheur de l’hiver et les fastes couleur de l’automne canadien. Le film se termine sur un Te Deum chanté par la belle voix gavroche du jeune Justin, le comédien qui joue le rôle Félix et, en contrepoint, par la narration d’un passage du roman par le vieillard qu’est devenu l’auteur, qui de sa voix de basse, rauque et chaleureuse narre les dernières pages de son roman.
Le rythme, la musique, le passage d’un tableau à l’autre, le jeu des comédiens : tout est sobre comme dans le roman de Leclerc. On a impression que l’auteur du roman nous fait faire un tour guidé et rythmé de plusieurs tableaux vivants qui se déroulent encore dans son île d’Orléans. La seule extravagance est la nature laurentienne elle-même qui semble surréelle dans sa grandeur toute naturelle, les prises de vues dans les scènes qui se déroulent au Canton Mayou sont époustouflantes. D’ailleurs, cette nature plus grande que nature est un des éléments qui tissent en une seule toile de fond tous ces tableaux qui, dans le roman, sont divisés en deux parties et plusieurs chapitres. Ici, le fils a su mettre en valeur, grâce aux images de son médium des liens, qui dans le roman de son père ne sont pas tout à fait à point.
Justin Leyrolles-Bouchard, le jeune « Félix » semble un peu obnubilé par la légende autour du personnage qu’il interprète ; de ce fait, sa prestation me semble un peu trop retenue tandis que Julien Leclerc, qui incarne Fidor, le meilleur ami de « Félix », nous présente un « Gavroche » des plus décontracté. Roy Dupuis, qui nous a fait connaître à plusieurs reprises des personnages masculins débridés se fait remarquer dans ce film par la sagacité toute tranquille de la virilité de son personnage. Son « Léo » est un papa qui sait aimer, diriger et commander ses enfants, qui sait leur donner des responsabilités, qui sait abattre son cheval quand c’est nécessaire et qui sait pleurer quand sa personne intime l’exige.
Tout compte fait, j’ai préféré ma deuxième lecture, celle de 2017 à la première de 1963, car elle m’a fait revivre des choses que j’ai vécues plusieurs fois ; tandis qu’en 1963, je ne pouvais que deviner ce qui m’attendait dans la vie. Et, surprise, j’ai préféré le film au roman parce que l’unité d’images, de thèmes, de musiques, et jeux des comédiens est plus forte que dans le roman.
Post scriptum: je suis allé voir ce film avec mes deux neveux de 11 ans. Ils m’ont posé peu de questions, ils ne se sont pas ennuyés, bien au contraire ! Cette histoire a bien vécu le passage du temps.
« Dans le corridor, il bifurqua soudainement vers la gauche, pour se rapprocher sans raison apparente des cases des étudiants. Du revers de la main, il tambourina prestement sur l’une des portes avec les jointures de ses doigts. Il sourit, se rappelant les petits méfaits de son professeur qui s’amusait à frapper sur les portes des cellules du cloître des Jésuites de l’université. Peu importe l’importance du “père”, qu’il soit frère adjuteur, confesseur, père missionnaire, père enseignant et même le père supérieur, il avait droit à la même taquinerie, parce que l’on s’ennuie tellement dans les couloirs sombres d’un cloître. Par la suite, Albert avait pris l’habitude de jouer des jointures de ses doigts sur le métal des portes des casiers pour s’amuser un peu dans les couloirs ennuyants de la faculté. »
13 septembre 2017
Les Ides de septembre tombent le treize du mois, tout petit, si j’ai appris quelque chose dans ses années depuis que j’ai découvert l’amour, c’est qu’on est tout petit, c’est Claude Dubois qui m’a fait comprendre cela le jour où il a chanté « Si Dieu existe » aux funérailles de Jacques Parizeau. Cette évocation du passage de la vie à la mort m’a fait comprendre le parcours de feu mes proches, tous, nous sommes tous… tout petits devant l’éternité. La vérité de cette chanson, je l’ai découverte dans l’intensité de cette prestation. J’ai vu un film ce soir, l’héroïne disait « Il y a une infinité de chiffres entre un zéro et un, une infinité qui peut être aussi importante que celles qui existe entre un zéro et un milliard. La question de grandeur n’est qu’une question d’intensité.
Quoique je vous ai aimé pour un trop bref moment, l’intensité de ces expériences en démultiplie l’intensité, l’amour que j’ai connu dure depuis toujours et pour toujours. L’amour est une rente viagère qui nous fait vivre au jusqu’à notre dernier jour, malgré la violence qui nous incombe et même au-delà de la mort.
Un de mes amis de Sudbury, Richard Théoret, m’a écrit pour me dire qu’il y avait eu à la station de radio CBON une présentation de ma poésie et plus particulièrement du poème, « Croire », paru premièrement dans Souvenances (1979) et rééditer dans le florilège, L’Autobus de la pluie, en 2002. J’ai écouté attentivement ce topo radiophonique et j’ai été particulièrement impressionné par la qualité et la justesse de ce commentaire de l’interprétation du contenu (le sens) basé sur une analyse formelle (la forme) du poème. Je vous présente premièrement le texte du poème suivi d’un hyperlien vers l’excellente analyse de Chloé Leduc-Bélanger présentée à CBON dans la cadre d’une chronique hebdomadaire de poésie.
CROIRE
(extrait de L’Autobus de la pluie, p. 107-108)
J’avais cru pouvoir t’extraire
te sculpter
à même le roc noir de mes mots pollués
mais l’écho de mon poème
demeure
et hante les parois de mes couloirs souterrains.
À coup de voyelles
d’images
de rêveries
de vers
j’avais cru
inventer
tes couleurs qui s’éclaboussent
marteler
tes courbes qui enjôlent
raffiner
tes membres qui m’entourent
miner
ton cœur qui palpite
mais
même si au fond de ce tunnel
je vois ta lampe qui s’éloigne
même si ton souvenir s’obscurcit
et sans soleil se meurt
je t’esquisserai
te réinventerai
car
nous rêverons,
nous nous éclabousserons
ô mes chairs
blanches plaines
froides
rocailleuses
et balayées de souvenances.
Voici l’hyperlien vers le commentaire de Chloé Leduc-Bélanger
En ce lundi matin, j’ai pensé partager avec vous un article qui m’a profondément touché. En tant qu’écrivain, je suis souvent confronté par le problème éthique de la réalité qui s’oppose (et même s’impose) sur la fiction… et vice-versa. Cela étant plus vrai que je pratiquer l’autofiction ou ce que j’aime appeler l’écriture au premier degré, comme les comédiens utilisent souvent leurs propres expériences pour mieux interprétés les passions de leurs personnages. Pour ce faire, il faut se décanter soi même pour livrer aux spectateurs (ou aux lecteurs) une oeuvre originale et… vraie. Procédé dangereux s’il en est un.
Le Devoir de philo
Deux fois par mois, Le Devoir lance à des passionnés de philosophie et d’histoire des idées le défi de décrypter une question d’actualité à partir des thèses d’un penseur marquant.
Quand les bonnes histoires de Trump tiennent lieu de vérité
Le penseur des communications Walter Fisher explique pourquoi des récits si loin de la vérité objective convainquent les partisans du président
Photo: Andrew Harnik, Associated Press. Donal Trump continue de promettre qu’il transformera l’Amérique pour la faire correspondre à ses récits.
Alors que Donald Trump a passé la barre des 100 jours à la tête des États-Unis, un sondage Washington Post – ABC News mené fin avril révélait qu’il est le président le moins populaire de l’histoire si tôt dans son mandat. Pourtant, ce même sondage indique aussi un fait étonnant : les Américains qui ont voté pour lui continuent à le soutenir à 94 % (contre 7 % des électeurs de Clinton), malgré ses nombreux déboires. Son style de communication, indifférent à la vérité, continue de surprendre, alors qu’il accuse les médias légitimes de produire de « fausses nouvelles », pendant qu’il relaie des articles de sites Internet douteux. Trump confond les experts qui prédisaient qu’il adopterait un ton plus « présidentiel » une fois élu.
Comment expliquer que le style communicationnel de Trump, défiant la réalité même, convainque plusieurs Américains ? En fait, les experts sont justement bien mal placés pour saisir son style, basé sur une vérité narrative plutôt que sur la rationalité scientifique dont ils sont friands. Autrement dit, Trump — comme d’autres populistes — raconte des histoires qui permettent à ses partisans de comprendre le monde en le reliant à leurs expériences, connaissances et identités.
Dès le début des années 1980, Walter Fisher, professeur de communication à la University of Southern California, amorce le « tournant narratif » dans les sciences sociales. Définissant l’humain comme « homo narrans » et comme « animal utilisateur de symboles », Fisher considère la communication humaine comme un échange d’histoires par lesquelles nous comprenons l’organisation du monde dans lequel nous vivons, au-delà de l’exactitude des affirmations qui les composent. La rationalité première est ainsi celle des histoires et du « gros bon sens ». Ceux-ci nous permettent de construire des liens de cohérence entre différents événements et de les évaluer sur la base de notre propre compréhension du monde.
Fidélité narrative
Une histoire paraîtra cohérente si l’enchaînement des actions qu’elle rapporte est bien construit et si les relations entre les personnages sont logiques. C’est là le critère de la cohérence narrative. Selon ce critère, une bonne histoire renfermera, par exemple, des protagonistes réunis autour d’une quête ayant pour objectif d’acquérir un objet matériel — comme de l’argent ou un partenaire amoureux — ou immatériel — comme le bonheur ou la justice. Certains, le héros et ses alliés, s’entraident en vue d’accomplir cette quête et font face à des opposants poursuivant les mêmes objets.
Nous ne trouverions pas l’histoire cohérente si le héros, après s’être fait confier sa mission, l’abandonnait aussitôt sans explication, ou s’il ne rencontrait aucune opposition. Bien qu’ils puissent être combinés de façon infinie, une histoire contient néanmoins des éléments de base qui lui offrent sa cohérence et la rendent compréhensible.
Nous aurons tendance à accepter une histoire comme étant vraie ou, du moins, minimalement plausible, si elle correspond à nos croyances et à notre vision du monde : c’est le critère de la fidélité narrative. Le lecteur se sent floué lorsque ce contrat est brisé, lorsque l’histoire ne s’accorde pas avec sa propre expérience ; son gros bon sens lève le drapeau rouge. La tolérance à la non-plausibilité varie selon le genre : ainsi, elle sera plus élevée dans le cas de la fiction que dans celui du travail journalistique. Les histoires des politiciens n’ont pas la licence de la fiction. Elles sont censées nous dire la vérité sur le monde qui nous entoure. Cependant, elles ne font pas référence au monde tel qu’il existe extérieurement, mais bien au monde tel que nous le comprenons déjà. Par conséquent, les récits que nous proposent les candidats et les élus ne sont pas dispensés de l’obligation de résonner avec nos croyances et notre conception du monde. C’est pour cette raison que différents groupes apprécient de manière variable les histoires de Trump.
Pour Fisher, le paradigme narratif prime la rationalité scientifique, bien que celle-ci soit basée sur la force de l’argumentation factuelle, d’où l’échec des médias à convaincre de la non-légitimité de Trump en démontrant la fausseté de ses affirmations. Les experts n’ont pas su reconnaître que les gens croient les histoires que Trump leur raconte, car elles leur permettent de relier leurs différentes expériences et inquiétudes dans un récit cohérent et plausible. Pour une partie de la population, les faits décousus des experts — « faits vérifiés », éditoriaux érudits et statistiques — ne jouissent pas de la même cohérence et ne font aucunement écho à sa réalité vécue. En créant ses propres liens et en les infusant de sa propre expérience, l’auditoire joue donc un rôle actif dans la construction de la signification des histoires.
Cohérence et plausibilité
La réaction de Trump au récent témoignage au Sénat de Sally Yates, ancienne procureure générale des États-Unis, exemplifie son approche narrative. Pendant que Yates décrivait aux sénateurs ses tentatives, en décembre dernier, d’avertir Trump des relations entre l’ancien conseiller à la sécurité nationale de la Maison-Blanche, Michael Flynn, et le gouvernement russe, Trump utilisait Twitter pour insinuer que Yates orchestrait des fuites pour répandre la « fausse nouvelle » de ses relations avec la Russie et nuire à sa légitimité comme président.
Ce faisant, il insérait le témoignage de Yates dans une trame narrative qu’il tisse depuis longtemps : celui d’un Parti démocrate acerbe (Yates avait été nommée procureure générale sous Obama), refusant sa défaite, et cherchant à priver le peuple américain de la victoire légitime de « son » président, Trump. Cette histoire, plausible aux yeux d’électeurs déjà persuadés que Clinton et le Parti démocrate ne s’intéressent qu’aux élites, est cohérente à leurs yeux car elle adopte une structure simple, où les démocrates sont les « méchants » opposés aux intérêts du peuple et des travailleurs.
Trump se décrit lui-même comme celui que le peuple a mandaté pour retrouver une prospérité et une honnêteté compromises par ses adversaires hargneux, obsédés par les joutes politiques. Ainsi, les nombreux articles démontrant les conflits d’intérêts et les turpitudes morales du président républicain n’ont eu aucune prise sur ces électeurs convaincus que les grands médias jouent eux aussi le jeu des élites démocrates corrompues par la soif du pouvoir.
Rôle de gagnants
Les meilleurs exemples de cette structure narrative, opposant les bons Américains à leurs adversaires, se retrouvent dans les promesses de Trump de construire un mur pour empêcher l’entrée illégale de Mexicains, ou celle de suspendre l’immigration de personnes musulmanes. Ces promesses, quoique discréditées, participent à des récits déjà bien implantés aux États-Unis concernant le « vol » d’emplois par les travailleurs mexicains, ou encore le terrorisme soi-disant causé par les musulmans. Ces histoires satisfont aux deux critères de Fisher. D’une part, elles sont cohérentes puisque les protagonistes jouent leur rôle de manière constante — les Mexicains et les musulmans sont les « méchants » qui nuisent à la quête des Américains vers de bons emplois et la sécurité. D’autre part, elles sont plausibles puisqu’elles reflètent les inquiétudes de nombreux Américains, aux prises avec le chômage et une insécurité amplifiée par rapport au terrorisme.
Toutes les démonstrations des experts quant aux obstacles économiques et logistiques à la construction du mur, de même que les statistiques démontrant le très faible nombre de victimes américaines du terrorisme islamique par rapport à l’ensemble des morts violentes, n’ont eu aucun écho au sein de cet auditoire. Les histoires de Trump concernant les Mexicains, musulmans et autres immigrants justifient aussi une peur de l’Étranger largement partagée.
En plus de leur proposer des récits donnant du sens à leurs expériences existantes, le style communicationnel de Trump offre à ses partisans un rôle actif dans leur propre histoire, celui des vainqueurs et des gardiens de la moralité. En effet, Fisher souligne que les histoires ont toujours une dimension morale, et celles de Trump rangent ses partisans du bon côté de la lutte entre le bien et le mal. Laissés pour compte par la délocalisation du secteur manufacturier et privés des moyens de s’adapter par un système d’éducation famélique, plusieurs Américains se retrouvent à vivre dans un monde qu’ils ne comprennent plus et où ils se retrouvent, donc, impuissants. Trump leur offre des récits où ils jouent de nouveau le rôle des gagnants.
Trump continue de promettre qu’il transformera l’Amérique — dont son système de santé — pour la faire correspondre à ses récits. Comme le dit Nietzsche, la volonté de puissance prend souvent la forme d’une volonté non pas de comprendre le monde, mais bien de changer le monde pour qu’il corresponde à notre compréhension. De même, plutôt que de leur proposer d’ajuster leurs connaissances à la nouvelle réalité sociale et économique de leur pays, Trump propose à ses partisans une politique performative : il changera le monde pour qu’il corresponde à leurs connaissances. Il leur redonne donc, pour ainsi dire, de la puissance en leur offrant une place dans des récits dont ils se sentaient exclus.
Joëlle Basque est chercheuse postdoctorale au Groupe d’étude sur la pratique de la stratégie à HEC Montréal.
Nicolas Bencherki est professeur adjoint au Département de communication de la State University of New York at Albany.
Cet article a été publié dans Le Devoir de samedi le 3 juin 2017.
C’est avec une profonde tristesse que nous avons appris le décès, survenu le mardi 25 avril, de l’auteur MICHEL DALLAIRE. Celui-ci a publié sa première oeuvre, Regards dans l’eau, en 1981 aux Éditions Prise de parole et, tout récemment, il avait offert le recueil à deux voix, Nomadismes, en collaboration avec l’auteure marocaine Aziza Rahmouni.
Son oeuvre, qui couvre une période de 35 ans, comprend une dizaine de recueils de poésie, des recueils de nouvelles et trois romans, dont Violoncelle pour lune d’automne (L’Interligne) pour lequel il a reçu le prix Trillium en 2015. Éditeur, il a accompagné dans la création de nombreux auteurs et poètes, et a écrit des
textes de chanson, notamment pour Stef Paquette et Chuck Labelle.
Gaston Tremblay, premier directeur des Éditions Prise de parole,
rappelle certains jalons de la contribution de Michel :
« À l’instar des poètes fondateurs de Prise de parole, Michel
Dallaire participe à un collectif de poésie à l’Université
Laurentienne, dont le travail conduira à la publication de deux
numéros, en 1981 et 1982, de la revue La Souche. En 1982,
Michel se joint à l’équipe de Prise de parole à titre d’adjoint au
directeur et de directeur littéraire. Il jouera un rôle clé dans le
virage vers la prose que prendra la maison d’édition au milieu des
années 80, y attirant des auteurs comme Marguerite Andersen,
Hélène Brodeur et Paul-François Sylvestre. C’est aussi à cette
époque qu’il publie un premier roman, L’œil interrompu (1985),
devenant rapidement un des auteurs phares de sa génération. La
poésie qu’il créera pendant sa prolifique carrière fait preuve d’un
sens inné de la musicalité. Ce n’est pas un hasard s’il collaborera
avec plusieurs musiciens, dont Daniel Bédard. »
J’ai pris le temps de respirer la vie
d’écouter un étroit ruisseau
démêler le noeud de mes pensées
d’être au lieu de faire
je me suis laissé inspirer
par une symphonie lointaine douce claire
un air de flûte apaisant
une méditation verticale prolongée
mon coeur s’est posé sur des ailes
j’ai été muet
j’ai perdu mon nom
j’ai vu le fond ardent de l’horizon
un soleil couchant
un rêve d’enfant
(Regards dans l’eau, 1981)
Son départ laisse un grand vide… Nos plus sincères
condoléances à sa famille et à ses proches, à tous ceux et celles
qui ont été touchés par la grâce de sa générosité.
L’agora de la Bibliothèque publique de référence de Toronto
Pour annoncer ma présentation du 22 septembre Peter ma demander de répondre aux questions suivantes.
Peter — Gaston Tremblay, votre initiation littéraire a commencé avec la poésie. Pourquoi ?
GAT — J’ai commencé à écrire de la poésie très jeune, à l’âge de treize ans. Mon père est mort en 1958, et ma mère a placé les trois plus vieux de ses huit enfants dans des pensionnats. Donc, en 1962 j’entrais en Élément latin au Collège du Sacré-Cœur de Sudbury. J’étais beaucoup trop jeune, j’ai eu beaucoup de difficulté à m’adapter au régime de vie des pensionnaires.
Un soir d’automne, étant extrêmement triste, je marchais sous un ciel étoilé devant le collège… entre les grands ormes qui longeaient l’allée qui s’ouvrait ostensiblement sur la rue Notre-Dame. J’étais en détresse, je ne comprenais pas pourquoi ma mère m’avait « renvoyé » de la maison. C’est dans la noirceur, entre ciel et terre, que la poésie m’a soufflé à l’oreille mon premier poème : un quatrain aussi simple que musical.
Ô nuit que tu es noire
Toi qui aimes boire
Tous mes espoirs
Ô nuit que tu es noire
J’ai vécu une adolescence difficile, l’écriture devint alors un exercice exécutoire et c’est par nécessité que j’ai continué à écrire des poèmes au collège et ensuite à l’école secondaire. De retour dans la maison de ma mère, ma sœur Rita devint ma secrétaire, elle transcrivait mes poèmes dans un grand livre de comptabilité. Elle était mon unique lectrice. Notre seul moment de gloire vint le jour où nous avons vu paraître un de mes textes dans le journal hebdomadaire du diocèse.
Pour moi, la poésie est et est toujours la montée, l’allée qui mène vers le corps et l’âme des autres.
Peter — En matière d’écriture, au fil des années, vous avez évolué vers le roman et l’essai. Qu’est-ce qui vous a attiré vers ces genres littéraires ?
GAT — Sans aucun doute, l’évènement qui a marqué mon adolescence est ma rencontre, du dramaturge et musicien André Paiement. En 1967, j’étais trop sérieux, et lui trop badin ; pour rire, il me comparait à Spike le gros bouledogue gris des Loony Tunes. Mon nouvel ami, pour me targuer, s’amusait à sauter tout autour de moi comme Chester, le petit terrier jaune dans cette bande dessinée. Surtout, nous sommes connus dans le journal intime que je tenais à l’époque. Au début, il était mon premier et seul lecteur. Ensuite, il devint le secrétaire qui dactylographiait mon texte et puis enfin, mon corédacteur. Nous voulions écrire un roman, Le Grand Livre, une autofiction au sujet de l’amitié que nous avions découverte dans le cadre du club de discussion, Les TACS des jeunesses catholiques de la paroisse du Sacré-Cœur de Sturgeon Falls. Le temps passe, l’adolescence s’estompe, après l’université nous avons abandonné ce projet pour poursuivre nos carrières respectives, lui, comme directeur et fondateur du Théâtre du Nouvel-Ontario, et, moi, comme poète fondateur des éditions Prise de parole. Quarante ans plus tard, après avoir réussi une maîtrise en création littéraire ; esseulé, j’entreprenais Le Grand Livre qui fut publié chez Prise de parole en 2012.
Peter —À vos débuts, vous étiez très engagé dans la vie littéraire et le mouvement théâtral de Sudbury. Comment cette aventure vous a-t-elle marquée pour les années suivantes de vos activités littéraires ?
GAT — Nous étions des enfants de chœur, mais nous rêvions d’être des artistes. Le mouvement CANO nous a fait rencontrer d’autres jeunes artistes qui voulaient faire exactement la même chose dans leur hic et nunc, dans leur ici et maintenant. C’est peut-être la chose la plus importante qu’il faut retenir de ce mouvement, nous avons construit et animé des organismes de création : Le Théâtre du Nouvel -Ontario, Prise de parole, la Slague, la Galerie du Nouvel-Ontario, la Nuit sur l’Étang. Cinquante ans plus tard, au fil des générations, ces institutions sont devenues des outils essentiels que de nouvelles générations d’artistes qui les animent toujours !
Peter — Vous avez développé le concept de littérature du vacuum en analysant la littérature franco-ontarienne. Dans votre dernier livre, La Littérature du vacuum, vous avez approfondi votre argumentation sur ce sujet. Est-ce que la situation du vacuum défavorise ou stimule/dynamise l’acte d’écrire en français ?
GAT — De par sa nature, l’homme tend à structurer son environnement pour survivre, pour se développer, pour s’émanciper. Je dirais qu’avec le temps et l’effort des littérateurs de tout acabit, le vacuum est devenu exiguïté, une situation que les peuples hyperminoritaires subissent. Dans un tel environnement, les écrivains ont peu d’espace littéraire pour s’épanouir, ce qui est un désavantage de taille. Par contre, la contrepartie de ce handicap est la liberté que l’absence de structures rigides accorde aux écrivains, le vacuum et l’exiguïté deviennent donc un lieu, de recherche identitaire, d’expérimentation et d’hyper production. C’est ainsi que j’expliquerais qu’un petit peuple comme celui du Québec arrive à projeter sa culture et sa personnalité dans le monde.
Peter —Selon vous, quelle est la place de la littérature franco-ontarienne au sein des littératures du Canada et de la francophonie ?
GAT — Il en va de même pour la littérature franco-ontarienne. En moins de cinquante ans, nous avons réussi à nous tailler — à bout de bras — une place dans la littérature canadienne. Certains auteurs commencent à percer sur la scène internationale, mais c’est difficile pour eux, car, à l’instar des Québécois, nous n’avons pas une institution littéraire suffisamment développée pour se développer facilement au-delà de nos frontières. Cela est d’autant plus vrai que les effectifs démographiques des Franco-Ontariens ne représentent que dix pour cent de la francophonie canadienne. Contrairement aux Acadiens, nous sommes hyperminoritaires, mais nous avons le privilège de vivre dans une province qui a une relation gémellaire avec le Québec et qui de plus est la plus populeuse et la plus riche du Canada. Puisque le Canada se projette dans le monde à partir d’Ottawa, la capitale nationale, et à partir de Toronto la métropole, cette province attire des immigrants francophones de toutes les régions du monde.
Peter — Quelles sont les nouvelles orientations de cette littérature ?
GAT — Depuis les tout débuts, la littérature franco-ontarienne se veut ouverte à tous les francophones, et aujourd’hui ce principe philosophique est devenu une réalité. Certains diront même que le thème identitaire a été évacué des œuvres franco-ontariennes, où, tout au moins, qu’il est beaucoup moins important. Plutôt, je proposerais que la quête identitaire des Canadiens français s’est transformée et s’est ouverte sur celles des autres : la quête des immigrants qui cherchent à se faire une place en Ontario français et celles de tous les aux autres groupes défavorisés qui réclament leur juste place au soleil : les femmes, les homosexuelles, les handicapés, etc. L’ouverture et la tolérance sont devenues des Works in progress qui enrichissent la toile identitaire de notre pays et de notre province. La littérature du hic et nunc de Prise de parole est désormais une littérature de la pluralité, aussi bien au niveau du contenu que de la recherche formelle.
Peter — Pouvez-vous nous parler de vos prochains projets littéraires ?
Dans la nouvelle année, j’entreprendrai l’écriture d’un autre roman, qui sera jusqu’à un certain point une suite du Grand Livre. Le sujet sera totalement différent, mais ce sera tout de même une autofiction, une approche que j’aimerais approfondir dans la nouvelle année. Du même souffle, je vais continuer d’écrire de la poésie dans mes moments libres, le genre que j’ai toujours privilégié. Car pour moi, la poésie est la montée qui mène vers la maison des autres.
-40 —
Gaston Tremblay, écrivain et éditeur franco-ontarien, qui vit à Montréal, donnera une conférence sur le poète Patrice Desbiens — L’Homme qui apparait et disparait dans le vacuum. Le programme aura lieu le jeudi 22 septembre à 18 heures dans Discussion Room, Bibliothèque de référence.
Vous êtes cordialement invités à nous rejoindre.
Pour trouver plus d’informations, s’il vous plaît appelez-nous au 416-393-7085.
Enfin après plus de dix ans de travail voici le troisième volume et notre dernier mot.
Un témoignage, en guise de…
Dans cette postface, nous voulons rendre hommage au grand éducateur et animateur qu’est Fernand Dorais. Pour ce faire, nous avons choisi de souligner son influence sur le cheminement et la vie des deux auteurs de ce texte : Gaston Tremblay, directeur des trois volumes du Recueil de Dorais, et Sheila Lacourcière, adjointe dans la réalisation de ce projet. Nous sommes tous deux d’anciens étudiants du professeur, et nos cheminements dans la vie sont bien différents l’un de l’autre. Mais nous sommes unis dans notre admiration, notre gratitude, notre amour pour cet homme : Fernand Dorais nous a accompagnés dans la vie et dans nos études jusqu’à la fin de nos recherches doctorales.
Pendant ses années à Sudbury, de 1969 à 1993, Fernand Dorais a été professeur de littérature à l’Université Laurentienne et animateur culturel dans le Nouvel-Ontario. Ce prêtre intellectuel a rédigé et publié plusieurs essais littéraires, que nous avons rassemblés dans le premier volume du Recueil de Dorais. Il a aussi écrit deux œuvres de création, réunies dans le volume deux, et ses mémoires publiées dans ce troisième ouvrage.
En 1972, Gaston Tremblay s’inscrit à l’Université Laurentienne en création littéraire. Tout au long du premier cycle, le professeur Dorais lui a offert une inspiration intellectuelle sans pareille. Pour donner suite à une demande que lui avait faite le poète en herbe, Fernand Dorais avait accepté de diriger un atelier de poésie, à une condition : que l’activité soit orientée vers la publication d’un livre. Le manuscrit issu des ateliers, le recueil Lignes-Signes, est prêt à la fin janvier 1973. Deux de ses auteurs, Gaston Tremblay et Denis Saint-Jules, s’occupent de l’édition et, ce faisant, ils fondent la première maison d’édition franco-ontarienne, les Éditions Prise de parole. Ils ont bien compris le mot d’ordre de Fernand Dorais, qui écrit dans la préface de Lignes-Signes que « ce qui n’est pas exprimé n’existe pas » et que « […] pour créer il faut désirer une continuation avec un milieu, une ethnie […] ». Gaston Tremblay souligne, dans un communiqué de presse à l’occasion de la mort de Fernand Dorais, l’importance de cet homme de lettres dans le succès que connaît Prise de parole. Il considère ce professeur comme son maître à penser.
Sheila Lacourcière est étudiante à temps partiel à l’Université Laurentienne de 1962 à 1973, puis de 1988 à 1995. C’est en 1970, dans un cours de littérature de premier cycle que Fernand Dorais arrive dans sa vie intellectuelle, pour ne jamais la quitter. Pour l’étudiante assoiffée de connaissances, les cours de ce maître-professeur, offerts avec rigueur dans un style éblouissant, et imprégnés de deux mille ans de littérature, de philosophie et d’histoire, mettent son esprit en ébullition et attisent son désir d’apprendre. Quand Sheila rencontre Fernand Dorais, c’est déjà une femme d’un certain âge ; Dorais lui fait prendre conscience de la richesse de la vie intellectuelle et il l’incite à entreprendre des études doctorales à l’Université d’Ottawa. Au fil d’une longue correspondance, il continue de la conseiller, de lui donner le courage de poursuivre ses recherches.
Ce rôle de professeur et de mentor, Fernand Dorais l’a joué auprès de Gaston Tremblay et de Sheila Lacourcière, mais également de toute une génération de jeunes artistes et littérateurs franco-ontariens.
C’est sous l’inspiration de Fernand Dorais et nourrie de sa pensée qu’un groupe de jeunes adultes, dont Gaston Tremblay, se réunissent pour former la Coopérative des artistes du Nouvel-Ontario, embryon des institutions artistiques sudburoises qui perdurent jusqu’à nos jours. L’esprit du maître-professeur est un phare qui éclaire la route des artisans du Nouvel-Ontario, qui les initie à une vision spéciale du monde.
De 2003 à 2015, Sheila Lacourcière et Gaston Tremblay font cause commune pour compléter ce vaste projet de recherche et de publication qu’est le Recueil de Dorais, dans une volonté de restituer sa place à ce grand pédagogue et auteur, lui qui a sculpté et ciselé l’esprit de deux personnes si différentes l’une de l’autre. Fernand Dorais décrit ainsi, dans une lettre, sa méthode pédagogique : « […] le dialogue des cerveaux et plus encore des cœurs, des âmes ».
Du fond du cœur, Gaston Tremblay et Sheila Lacourcière lui témoignent toute leur admiration, leur affection et leur reconnaissance.
Je n’ai pas les noms et adresses de tous les abonnés du Blogue de Gaston, donc je n’ai pas pu demander à mes éditeurs d’inviter ces lecteurs anonymes au Lancement Double de Dimanche. Aujourd’hui, les éditions Prise de parole et les Éditions David ont envoyé un rappel à tous les invités, rappel que j’aimerais partager avec mes lecteurs anonymes.
Vous voilà donc conviés, avec ou sans masque!
Les Éditions David et les Éditions Prise de parole
vous convient au lancement des deux plus
récents livres de Gaston Tremblay :
La littérature du vacuum : genèse de la littérature franco-0ntarienne (Essai, Éditions David)
D’amour et turbulences (Prise de parole, poésie)
Le dimanche 29 mai, 17 h
Librairie Le port de tête
262, avenue Mont-Royat E., Montréal